Les fondements philosophiques de l’éducation des adultes

Les fondements philosophiques de l’éducation des adultes

Date de transmission des propositions d’articles : 15 mars 2021

Numéro thématique coordonné par :

Michel FABRE, Université de Nantes, France

fabremichelhenri@aol.com

Alain KERLAN, Université de Lyon II, France

alain.kerlan@orange.fr

Céline CHAUVIGNÉ, Université de Nantes, France

Les résumés et les textes sont à envoyer simultanément à :

Michel Fabre

fabremichelhenri@aol.com

Alain Kerlan

alain.kerlan@orange.fr

Céline Chauvigné

Celine.Chauvigne@univ-nantes.fr

ET

Revue Phronesis

info@revue-phronesis.com

Les propositions d’article (résumé de 200 mots) sont à transmettre aux coordonnateurs pour le 15 mars 2021.

Argumentaire scientifique :

Les expressions « d’éducation des adultes », « d’éducation ou de formation tout au long de la vie », de « formation des adultes », de « formation continue », fleurissent dans une société que certains qualifiaient déjà, à la fin du XX°siècle, de « pédagogique », puisque le temps de formation, formelle ou informelle y excédait celui de la production, du loisir et du sommeil. Aujourd’hui, le phénomène a pris encore plus de relief dans le cadre de la société dite « de l’information » ou « de la connaissance ».

On éduque ou forme quelqu’un (un sujet) à quelque chose (une discipline, un métier, une compétence) pour quelque chose (un rôle social, professionnel). D’où trois logiques impliquées dans ces processus : logique psychologique, didactique, socio-professionnelle (Fabre, 2006). Le renouvellement incessant des savoirs oblige à des remises à niveau constantes, même chez les plus compétents. L’injonction toujours plus forte de performance, de mobilité, d’adaptabilité aux changements rapides des techniques, à l’évolution des professions, se traduit par nombre de stages de perfectionnement, de recyclage, de réorientation. Par contrecoup, compensation ou réaction se développe une recherche, de développement personnel, de bien-être, d’harmonie psychologique, voire spirituelle.

Face à ce phénomène massif d’éducation ou de formation des adultes, on peut s’interroger sur le silence quelque peu assourdissant de la philosophie contemporaine. À quelques exceptions près, l’éducation, surtout l’éducation des adultes, ne semble pas être un domaine digne de réflexion en France alors que d’autres pays voisins comme l’Allemagne ou l’Angleterre ont, sur ce sujet, des traditions anciennes et toujours fécondes. Ce désintérêt des philosophes est d’autant plus regrettable qu’au sein même du champ de la formation, ses spécialistes se nourrissent de philosophie. D’où un certain nombre d’emprunts conceptuels. C’est particulièrement le cas avec l’idée d’expérience, d’enquête, de John Dewey, la psychanalyse de la connaissance de Bachelard, de narrativité ou de capababilité de Ricœur (Kerlan & Simard, 2011) etc.

L’idée d’éducation des adultes ne va pourtant pas de soi, si on admet la définition de Durkheim selon laquelle « L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale » (Durkheim, 1911, p. 52). Prétendre éduquer les adultes signifierait alors les « rééduquer », ce qui évoque des stratégies politiques de sinistre mémoire, depuis les plans d’éducation nationale de Le Peletier jusqu’aux entreprises fascistes ou communistes. C’est pour cette raison qu’Arendt (1972) refusait d’étendre la notion d’éducation aux adultes.

Pour elle, la fin des études secondaires marquait le terme de l’éducation en même temps que les débuts de l’apprentissage professionnel et l’expérience de la citoyenneté. À la pédagogie qui concerne l’éducation des enfants, faudrait-il opposer l’andragogie ? Apprendre un métier, se « recycler », c’est bien plus qu’acquérir des savoirs et des savoir-faire, cela engage toute l’expérience de l’adulte dans ses dimensions intellectuelles, physiques, affectives et sociales et même éthiques puisqu’avec l’enseignement de techniques, c’est aussi tout un code de valeurs qui se transmet. C’est dans cette voie que s’engagera la réflexion sur la formation des adultes (Malglaive, 1990).

Pour tenir compte à la fois des spécificités de l’enfance et l’adulte et d’une conception non réductrice de l’apprentissage professionnel, ne pourrait-on parler de formation des adultes ? Ce serait compter sans les ambiguïtés de l’idée de formation. Former c’est, étymologiquement, donner l’être ou la forme, ce qui renvoie à la Physique d’Aristote comme théorie générale du changement. Le terme recèle donc un sens plus ontologique que les expressions voisines comme éduquer, instruire ou former. La formation va désigner l’acte d’apprendre comme transformation profonde (intellectuelle, affective, sociale) du sujet. C’est cette signification que le courant de la Bildung reprendra en la transposant dans une philosophie de l’histoire, et qui trouvera ses expressions les plus célèbres dans le roman d’apprentissage (Delory-Monberger, 2004) repris aujourd’hui dans le récit de vie (Pineau et Legrand, 2013). Pourtant cette charge ontologique de l’idée de formation est cela même qui va servir de repoussoir pour une certaine philosophie s’érigeant contre ce qu’elle perçoit comme un modelage. C’est pourtant ignorer l’autre grand modèle de changement convoqué par Aristote, à savoir le dynamisme naturel des êtres vivants qui se donnent à eux-mêmes leur propre forme. Dans cette perspective, la formation apparaît alors comme une propriété du vivant en général et chez l’homme comme le devenir soi-même à travers une expérience, une histoire.

Ce modèle naturel, biologique, du « se formant » inspirera bien des tendances de la formation ou de l’auto-formation continue, via l’École nouvelle, avant de se voir dialectisé en inter-formation, ou en éco-formation. L’opposition des deux modèles technique et naturel de la Physique d’Aristote alimentera ainsi tout un imaginaire de la formation polarisé par les symboles de Pygmalion (le modelage) et du Phénix (l’autoformation) avant qu’un troisième modèle émerge, celui de l’accompagnement (Paul, 2004) avec les figues de Mentor et de Télémaque.

Quel sens peut bien avoir la prétention à fonder l’éducation des adultes ? On peut toujours contester la pertinence ou l’intérêt d’une telle entreprise, mais peut-on le faire sans mobiliser une philosophie implicite ? L’éducation des adultes fourmille de discours experts. Mais peut-on réduire l’éducation ou la formation des adultes à ses déterminants psychologiques, sociologiques ou économiques ou encore à ses dimensions méthodologiques ou techniques ? C’est une telle fermeture que Socrate dénonçait quand il interrogeait, sans se lasser, les experts en rhétorique, en politique, en art militaire en les sommant de dévoiler les principes sur lesquels ils prétendaient fonder leur compétence et leur autorité. L’exigence philosophique signifie donc le maintien d’une ouverture de sens par rapport au savoir des experts, mais également par rapport aux allants de soi de la pratique. On peut définir le questionnement philosophique comme une interrogation au second degré sur le légitime, ou si l’on veut, sur les critères de légitimité ?

La recherche du fondement s’inscrit dans les spécificités du questionnement philosophique : 1) comme interrogation universelle, au sens où aucun objet ne saurait y échapper ; 2) radicale, c’est-à-dire remontant aux principes premiers, quelle que soit la manière de les concevoir (axiomes, conditions de possibilité, fondements métaphysiques…) ; 3) visant la fin dernière (le Bien) qui apparaît alors comme la valeur des valeurs, la légitimité du légitime ; 4) interrogation conduite selon la raison pour seule norme (Reboul, 1989).

Il existe, selon les écoles philosophiques, une grande variété des manières de fonder, mais toutes interprètent, à leur manière, le principe aristotélicien selon lequel, à un certain moment de la réflexion, « il faut bien s’arrêter » car il est impossible d’aller plus loin ou de remonter plus haut. Le principe peut être axiologique – le Bien chez Platon ou chez Lévinas -, ontologique – l’Être, chez Aristote ou Heidegger (Honoré, 1990) – l’expérience chez Dewey, la vie chez Jonas) ; épistémologique (le cogito chez Descartes) ; transcendantal (les conditions de possibilité de la connaissance chez Kant, de la discussion rationnelle chez Apel) ; pragmatique (Austin, Searle, Habermas) ; généalogique (Nietzsche, Deleuze).

Ajoutons que, malgré les formes techniques qu’il peut prendre dans les différentes écoles philosophiques, le questionnement sur les fondements n’est pourtant pas réservé aux philosophes de métier : « Dès qu’un éducateur réfléchit sur le sens de son entreprise – dès qu’il se demande pourquoi, ou mieux pour quoi il fait ce qu’il fait, il philosophe » (Reboul, 1989, p. 5). L’éducation des adultes semble ainsi pouvoir se justifier à partir de trois entrées qui renvoient aux logiques psychologiques, épistémiques et sociales évoquées plus haut : le développement (éducation ou formation d’un sujet), l’évolution des savoirs et des techniques (formation à quelque chose), les exigences de la société (formation pour quelque chose).

La perspective fondationnelle ne va pourtant pas de soi. Elle suppose une valorisation de l’acte éducatif comme humanisation, accomplissement de l’homme, triomphe de la culture, formation d’un peuple, qui peut être questionnée d’un point de vue critique ou généalogique. Il est ainsi possible de déconstruire la manière dont une « simple » technique de préparation à l’âge adulte ou de perfectionnement de l’adulte se voit, déjà dans l’antiquité et à travers l’histoire, magnifiée comme advenue de l’humanité dans l’homme, accomplissement du logos (Bernard, 1989).

Dans une perspective moins radicale, le projet d’éduquer les adultes peut être interpellé, sur les trois logiques (épistémique, psychologique et sociale) dans lesquelles il se déploie et sur les tensions entre ces trois logiques. C’est même la fragmentation de la formation en formations peut être interrogée. Ne signe-t-elle pas l’échec de l’idée de « formation permanente », ce « mythe des temps modernes » (Forquin, 2004) et dont l’idée remonte à la philosophie des Lumières et précisément à Condorcet ? Ne peut-on voir dans l’émiettement des formations et ceux de leurs objectifs, le glissement d’un projet philosophique d’accomplissement de l’humain, à un service d’accompagnement économique, pour ne pas dire à une ingénierie au service du développement économique consacrant la prééminence de l’homo économicus ?

Pistes de réflexion proposées

  • Une première piste consisterait à revisiter les doctrines inspirantes ou susceptibles d’inspirer la formation des adultes aujourd’hui. On pense aux grandes figures de la tradition (Condorcet, Dewey, Gadamer, Heidegger…) ou plus près de nous à l’École de Francfort (Habermas, Honneth), aux travaux de Foucault sur la subjectivation, etc.
  • Une deuxième piste consisterait à explorer les mouvements historiques de l’éducation des adultes et à expliciter leurs présupposés philosophiques, leurs emprunts conceptuels à la philosophie.
  • Une troisième piste analyserait de manière critique des systèmes de formation, des dispositifs (projets, stages, alternances…), des démarches (analyse de pratiques, atelier d’écriture…), en interrogeant leurs logiques sous-jacentes, les tensions qui les animent en remontant jusqu’aux principes premiers, explicites ou non, qui les fondent.

Références bibliographiques :

Arendt, A. (1972). La crise de la culture. Paris : Gallimard.

Aristote, (1961). Physique, I et II. Paris : Éditions Les belles Lettres.

Bachelard, G. (1970). La formation de l’esprit scientifique. Paris : Vrin.

Bernard, M. (1989). Critique des fondements de l’éducation. Paris : Éditions Chiron.

Delory-Momberger, C. (2004). Les Histoires de vie. De l’invention de soi au projet de formation. Paris : Anthropos

Dewey, J. (1983). Démocratie et éducation. Paris : Armand Colin.

Durkheim, E. (2005). Éducation et sociologie. Paris : Presses universitaires de France.

Fabre, M. (2006). Penser la formation. Paris : Éditions Fabert.

Forquin, J-C. (2004). L’idée d’éducation permanente et son expression internationale depuis les années 1960. Savoirs, 3 (3), 9-44. https://doi.org/10.3917/savo.006.000

Hocquard, A. (1996). Éduquer, à quoi bon ? Paris : Presses universitaires de France

Honoré, B. (1990). Sens de la formation, sens de l’Être : en chemin avec Heidegger. Paris : L’Harmattan.

Kerlan, A., Simard, D. (2011). (Dir.) Ricœur et la question éducative. Québec : Presses de l’Université Laval.

Malglaive, G. (1990). Enseigner à des adultes. Paris : Presses universitaires de France

Paul, M. (2004). L’accompagnement. Une posture professionnelle spécifique. L’Harmattan

Pineau, G., et Legrand, L. (2013). Les histoires de vie. Paris : Presses universitaires de France, Collection Que-sais-je ?

Reboul, O. (1989). La philosophie de l’éducation. Paris : Presses universitaires de France, Collection Que-sais-je ?

Calendrier :

  • Transmission des résumés (200 mots) aux coordonnateurs : 15 mars 2021
  • Transmission des textes par les auteurs aux coordonnateurs : 15septembre 2021
  • Transmission des textes aux évaluateurs : 20 septembre 2021
  • Retour des évaluations : 20 décembre 2021
  • Transmission des évaluations aux auteurs : 31 décembre 2021
  • Transmission des textes révisés aux coordonnateurs : 31 janvier 2022
  • Relecture des textes par les coordonnateurs et l’équipe de la revue Phronesis : fin février 2022
  • Publication : 1erjuin 2022

Les auteurs sont priés de transmettre leur article dans deux versions : l’une déjà anonymée et la seconde non anonymée. Ils sont invités à indiquer dans le message le titre de l’appel à communication visé.

Recommandations générales :

  • Soumettre les textes en format Word uniquement (sur PC ou Mac).
  • Respecter les normes de présentation de l’American Psychological Association (APA), dernière version et adaptées en français pour répondre aux normes linguistiques en usage.
  • La longueur de chaque chapitre sera de 70 000 caractères « max » (espaces compris), en excluant le titre, les résumés en français et en anglais, les mots-clés en français et en anglais et la bibliographie.
  • Les textes sont présentés à interligne simple.
  • La police de caractère utilisée est Avenir (taille 11) ou Times (taille 12)

Présentation des figures et des tableaux :

  • Les tableaux sont limités à un maximum de 2 par article. Un tableau ne devant pas dépasser une page. Un tableau doit être lisible, légendé et référencé.
  • Les figures et schémas sont également limités au nombre de 2 par article et doivent être transmis en format JPEG, TIFF, PDF ou PNG. Une figure ou un schéma doivent être lisibles, légendés et référencés.
  • Les auteurs indiquent dans le texte l’emplacement des schémas, tableaux, figures, graphiques, etc. à insérer et ils les joignent en annexe avec toutes les indications quant à la composition de ces documents.

Hiérarchisation des titres :

  • Trois niveaux de titre sont permis.
  • Numéroter les titres et les sous-titres afin de bien en préciser la hiérarchie (ex. : 1., 1.1., 1.1.1.).

Format d’écriture :

  • Utiliser l’italique uniquement pour les mots étrangers et les titres d’ouvrages.
  • Utiliser le gras uniquement pour les titres et les sous-titres.

Écriture des nombres :

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