Hommage à Jacques Ardoino

Jacques Ardoino (1927-2015)

 Jacques Ardoino, décédé le 20 février 2015, a été un penseur majeur du champ des sciences de l’éducation et de la réflexion éducative durant ces dernières décennies. De formation universitaire plurielle, connaissant de l’intérieur le monde de l’entreprise, comme celui de l’enseignement public, il a su non seulement suggérer des orientations éducatives inédites, mais précéder avec pertinence et discernement les préoccupations d’aujourd’hui. Licencié en droit, en psychologie, en philosophie, docteur de troisième cycle en « administration des entreprises », docteur d’Etat, en 1973, avec une thèse sur travaux, Jacques Ardoino a compris, un des premiers, l’inéluctable relation que l’université devait nouer tant avec le monde du travail qu’avec celui de la culture, comme l’inéluctable réflexion que l’université devait mener sur la formation permanente et sur la formation d’adultes. Sa carrière montre d’ailleurs le croisement entre ces divers mondes : chef du « département de psychosociologie appliqué aux affaires », à l’université de Bordeaux, entre 1960 et 1967, il a été ensuite maître assistant en sciences de l’éducation et successivement professeur dans la même discipline à l’université de Caen et à l’université de Paris VIII. Ce sont bien ces compétences et ces intérêts pluriels qui l’ont conduit à publier, dès 1961, des textes sur la formation en entreprise, « Formation en profondeur au service du perfectionnement des Cadres » (Revue Jeune patron), à diriger durant plusieurs années (1965-1980) la collection « Hommes et organisation » aux éditions Gauthier Villars, et à fonder en 1981, une revue dont les travaux et l’ouverture à la pluralité des perspectives se sont avérés remarquables, Pratiques de Formation-Analyses, publiée par le service de formation permanente de l’université de Paris VIII.

Au-delà de cette volonté de rapprocher deux mondes, Jacques Ardoino a également contribué à renouveler la réflexion sur les méthodes éducatives. Formé à la psychosociologie dès les années 1950, cofondateur de ce champ avec Max Pagès, Serge Moscovici, Guy Palmade, introducteur en France du psychodrame de Moreno, il a su suggérer un regard neuf sur les relations éducatives : considérer la classe comme un groupe, percevoir les interrelations qui y règnent, déceler les leaders, les dominés, les exclus, adapter le comportement pédagogique en fonction, très précisément, de ces informations. Seule une compétence particulière permet de relever de tels indices, seule une même compétence permet de les rendre opérants dans l’acte d’enseignement (voir son livre, Education et relations, Gauthier Villars, 1980). Autant de réflexions initiées par le livre majeur, Propos actuels sur l’éducation (1965), où existent en germe l’ensemble des propositions qui ont suivi.

L’originalité de Jacques Ardoino dans le champ éducatif ne se limite pourtant pas à des indications de méthodes. Un véritable travail conceptuel traverse l’ensemble de ses publications. La notion de « multi-référentialité » est sans doute la plus importante, comme là plus connue. Rien d’autre ici que la tentative de faire coexister des connaissances venues de champs différents et généralement non reliées entre elles : le choix de la multi-discipline bien évidemment, à la quelle les sciences de l’éducation sont inévitablement confrontées, mais aussi le choix de la prise en compte de l’irrationalité comme de la rationalité, de la logique de l’individu comme de celle du collectif. La prise en compte que toute situation s’inscrit dans des champs multiples et revêt des sens différents pour les acteurs qui y sont impliqués, acteurs et non simplement agents et parfois même « auteurs » en fonction d’un processus d’autorisation, processus instituant qui lui paraissait essentiel. Une manière exigeante, autrement dit, de faire exister la « complexité », celle même qui est au cœur de l’éducation complexité qui n’est pas seulement lien mais prise en compte de l’inexorable altérité de l’autre. L’œuvre de Jacques Ardoino demeure, à cet égard, un exemple, une leçon et a marqué ce qu’il y a de plus vivant dans la recherche en éducation aujourd’hui. L’opposition d’ordre conceptuel et épistémologique qu’il établit entre les procédures du contrôle et le processus de l’évaluation, sa lutte contre la confusion entre la nécessaire rationalité de l’organisation et l’instauration de valeurs dans la fondation institutionnelle, sa volonte de penser la tension entre la platitude du projet-programme et l’aspiration du projet-visée sont au cœur des incompréhensions actuelles.

Accéder au site de Jacques Ardoino

par Guy Berger (Paris VIII…), Louis Marmoz ( Saint-Quentin, Président de l’AFIRSE,…) et Georges Vigarello (EHESS)

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