Hommage à Gaston Mialaret (1918-2016)

La communauté des Sciences de l’éducation est en deuil après le décès de Gaston Mialaret — entouré des siens — ce 30 janvier 2016, à l’âge de 97 ans.

Gaston Mialaret est et restera une grande figure de la pédagogie et des Sciences de l’éducation francophones. Il a été, avec Jean Château et Maurice Debesse, le créateur de cette discipline dans l’Université française, en 1967.

Gaston Mialaret est né en 1918. Au milieu des années trente, il est élève-maître à l’école normale d’instituteurs de Cahors ; puis il fait des études de mathématiques à l’Université de Toulouse.

Il est instituteur pendant quelques temps dans le département du Lot à partir de 1939. Puis après la guerre et le temps de la mobilisation, il devient professeur de mathématiques au lycée d’Albi où, après la Libération, il est chargé d’organiser « les classes nouvelles » impulsées par Gustave Monod au ministère.

Désireux de devenir directeur d’école normale, Gaston Mialaret se présente au concours d’élèves-inspecteurs de l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1946.

Parallèlement à sa formation d’élève-inspecteur, il est parmi les tout premiers étudiants (en même temps que l’un des premiers intervenants…) de la nouvelle licence de psychologie, créée à la Sorbonne en 1947. Il suit les cours de P. Guillaume, R. Cousinet, D. Lagache, ainsi que ceux de H. Wallon, de H. Piéron et de R. Zazzo qui allaient exercer sur lui une influence déterminante. Il est reçu au concours du professorat de psycho-pédagogie des Enna (École normale nationale d’apprentissage), ces écoles créées en 1945 en vue de la formation des personnels enseignants des Centres d’apprentissage (ancêtres des lycées professionnels).

Sur la proposition de Wallon, c’est comme assistant à l’Ens de Saint-Cloud que Gaston Mialaret est alors recruté ; il y organise le premier laboratoire de psycho-pédagogie de cette école en 1948.

Dès cette époque des échanges et des interactions s’installent entre les pédagogues universitaires français et Québécois. Gaston Mialaret évoque ainsi la dette de l’ l’Ens de Saint-Cloud vis-à-vis des savoir-faire québécois en matière de mobilisation des technologies d’information et de communication dans le champ de l’éducation :

« Les élèves de ma génération avaient connu les premiers essais balbutiants de ce que l’on appelait “le cinéma à l’école”. L’ère de l’audio-visuel en France n’était pas encore commencée. À l’Ens de St Cloud, avec la première équipe française qui avait été envoyée au Canada à la fin de la guerre et qui était revenue pour créer le Centre audio-visuel (R. Lefranc, J. Noizet, P. et L. Leboutet) je découvrais les techniques modernes mais aussi les problèmes pédagogiques nouveaux que soulevaient de tels nouveaux moyens de transmission des messages éducatifs. »[1]

Il soutiendra ses deux thèses (sur l’enseignement des mathématiques et sur la formation des professeurs de mathématiques) en 1957. Mais dès 1953, il est recruté comme « chef de travaux » à l’Université de Caen, pour y développer l’enseignement de la psychologie et y créer la licence : et c’est à Caen qu’il va accomplir la quasi-totalité de sa carrière entre 1953 et 1984, soit 31 années, du statut de chef de travaux à celui de professeur (avec « chaire »).

À la même époque, Robert Dottrens, professeur à l’Université de Genève et co-fondateur, avec Jean Piaget, du Bureau international d’éducation en 1929, amorce la création d’un réseau francophone de recherche en psycho-pédagogie, ou en pédagogie expérimentale, qui deviendra l’Association internationale de Pédagogie expérimentale de langue française (Aipelf) en 1958. La présidence en sera confiée à Gaston Mialaret pendant plus de 20 années, pendant lesquelles l’Aipelf tiendra son colloque annuel par deux fois au Québec : en 1967 à Sherbrooke et en 1974 à Montréal.

Comme il l’avait fait à Saint-Cloud, Gaston Mialaret crée à Caen, dès 1956, un « laboratoire de psycho-pédagogie ». Et ce laboratoire gardera ce nom quand, en octobre 1967, la chaire professorale de Psychologie de Gaston Mialaret sera transformée en chaire de « Sciences de l’éducation », après la création de cette discipline universitaire par le décret du 11 février 1967. Mais dans le début de ces années soixante, c’est encore la notion de pédagogie qui s’impose, en France, pour nommer ce champ culturel (en Suisse, l’Institut Jean-Jacques Rousseau fut intitulé « École des sciences de l’éducation » dès 1912). Et c’est encore ce même mot qui sera choisi pour qualifier le très important Traité des sciences pédagogiques, coordonné par M. Debesse et G. Mialaret, dont les huit volumes seront édités aux Presses Universitaires de France entre 1969 et 1978.

C’est donc en 1967 que, sous l’impulsion de Maurice Debesse, Jean Château et Gaston Mialaret, sont créées les Sciences de l’éducation dans trois universités françaises : Paris, Bordeaux et Caen. Cette création indique probablement un double élargissement des ambitions de la pédagogie : traditionnellement à dominante philosophique et psychologique, celle-ci s’ouvre à l’ensemble des questionnements des sciences humaines dans le champ de l’éducation ;  elle s’élargit également à d’autres publics — de l’enfance aux adultes —, et s’efforce désormais de prendre en compte la multiplicité des pratiques sociales dans l’ensemble des instances d’éducation (famille, école, mouvements de jeunesse, lieux de gérontologie, éducation informelle…).

Parallèlement, Gaston Mialaret succède à Henri Wallon à la présidence du Groupe français d’éducation nouvelle en 1962 ; il allait le rester jusqu’en 1969.

La revue Les Sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle est créée à Caen en 1967 (le premier numéro — qui paraît quelques mois avant le premier numéro de la Revue française de pédagogie — porte la date de « janvier-mars 1967 »). Cette revue témoigne du double engagement de Gaston Mialaret : l’engagement dans le militantisme pédagogique inscrit dans le mouvement de l’éducation nouvelle (la nouvelle revue reprend le titre de la revue du Gfen, Pour l’ère nouvelle), et l’engagement dans la pédagogie à aspiration scientifique (la revue prend pour titre principal le nom de la discipline universitaire qui est sur le point d’être créée, Les Sciences de l’éducation, et elle publiera régulièrement les actes des congrès de l’Aipelf).

Après avoir été co-responsable de l’institutionnalisation de la discipline universitaire des Sciences de l’éducation en France, il contribue fortement à sa structuration : en participant à la création de l’Association des Enseignants et Chercheurs en Sciences de l’éducation, en 1971 (il la préside de 1976 à 1982), ou encore en dirigeant deux grandes collections de sciences de l’éducation aux Presses Universitaires de France pendant près de quarante ans.

Gaston Mialaret fut également président de l’Organisation mondiale pour l’éducation pré-scolaire (Omep) de 1968 à 1974. Le combat pour la petite enfance incarnait bien les lignes de force de son univers.

Il fut nommé professeur associé à l’Université de Sherbrooke en 1969 ; il y collaborera au Centre de recherche sur l’éducation au travail (CRET) pendant plusieurs années. En 1987, il reçut la distinction de docteur honoris causa en éducation de cette université.

Il fut expert auprès des grands organismes : Unesco, Oua, Unicef, Ocde… Il accomplit de très nombreuses missions, plus particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud. Il fut directeur du Bureau International de l’Éducation, à Genève, en 1987-1988.

La somme des écrits scientifiques de Gaston Mialaret, livres, articles et rapports de recherche, est immense : Éducation nouvelle et monde moderne, Puf, 1966 ; L’apprentissage des mathématiques, Bruxelles, Dessart, 1967 ; Vocabulaire de l’éducation, Paris, Puf, 1979 ; Pédagogie générale, Paris, Puf, 1991 ; Le Plan Langevin-Wallon, Paris, Puf, 1997 ; Les sciences de l’éducation, Paris, Puf, « Que sais-je ? », première édition en 1976, 11e édition en 2011 ; Le nouvel esprit scientifique et les sciences de l’éducation, Paris, Puf, 2010…

Les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur français, Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon, nous rappellent le rôle qu’il a joué au Québec dans le développement exceptionnel de la discipline des Sciences de l’éducation : « Infatigable militant pour l’éducation nouvelle et préscolaire, Gaston Mialaret a contribué à développer les sciences de l’éducation au Québec et a joué un rôle important auprès des générations de chercheurs qui se sont formés auprès de lui, en publiant leurs travaux en sa qualité d’éditeur aux Presses universitaires de France ».

« Il avait comme secret espoir de parfaire la sphère du monde de l’éducation, de faire qu’elle vienne assurer à tout enfant, à tout adolescent et à toute adolescente voire à tout adulte, le bonheur de vivre au prix d’un épanouissement total de ses possibilités. » [J.G.]

par Henri Peyronie – Université de Caen-Normandie, CERSE EA 965

[1] MIALARET G. (1993). « Itinéraire de vie ». Perspectives documentaires en éducation, n°28, p. 5-26.

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