Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles
Du 22 au 25 septembre 2021 au CNAM, Paris, France
Thématique de la biennale 2021 : Faire et se faire
Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles
Du 22 au 25 septembre 2021 au CNAM, Paris, France
Thématique de la biennale 2021 : Faire et se faire
Texte de Jean-Marie Barbier (Octobre 2020)
La recherche en éducation, et plus largement la recherche en sciences sociales, qui ont pour ambition large d’analyser la construction des sujets humains dans le but espéré de pouvoir agir sur cette construction, laissent apparaitre sur ce plan plusieurs ambiguïtés.
Jean-Marie Barbier
Professeur émérite, Conservatoire national des Arts et Métiers
Chaire UNESCO Formation et pratiques professionnelles
La communauté des Sciences de l’éducation est en deuil après le décès de Gaston Mialaret — entouré des siens — ce 30 janvier 2016, à l’âge de 97 ans.
Gaston Mialaret est et restera une grande figure de la pédagogie et des Sciences de l’éducation francophones. Il a été, avec Jean Château et Maurice Debesse, le créateur de cette discipline dans l’Université française, en 1967.
Gaston Mialaret est né en 1918. Au milieu des années trente, il est élève-maître à l’école normale d’instituteurs de Cahors ; puis il fait des études de mathématiques à l’Université de Toulouse.
Il est instituteur pendant quelques temps dans le département du Lot à partir de 1939. Puis après la guerre et le temps de la mobilisation, il devient professeur de mathématiques au lycée d’Albi où, après la Libération, il est chargé d’organiser « les classes nouvelles » impulsées par Gustave Monod au ministère.
Désireux de devenir directeur d’école normale, Gaston Mialaret se présente au concours d’élèves-inspecteurs de l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1946.
Parallèlement à sa formation d’élève-inspecteur, il est parmi les tout premiers étudiants (en même temps que l’un des premiers intervenants…) de la nouvelle licence de psychologie, créée à la Sorbonne en 1947. Il suit les cours de P. Guillaume, R. Cousinet, D. Lagache, ainsi que ceux de H. Wallon, de H. Piéron et de R. Zazzo qui allaient exercer sur lui une influence déterminante. Il est reçu au concours du professorat de psycho-pédagogie des Enna (École normale nationale d’apprentissage), ces écoles créées en 1945 en vue de la formation des personnels enseignants des Centres d’apprentissage (ancêtres des lycées professionnels).
Sur la proposition de Wallon, c’est comme assistant à l’Ens de Saint-Cloud que Gaston Mialaret est alors recruté ; il y organise le premier laboratoire de psycho-pédagogie de cette école en 1948.
Dès cette époque des échanges et des interactions s’installent entre les pédagogues universitaires français et Québécois. Gaston Mialaret évoque ainsi la dette de l’ l’Ens de Saint-Cloud vis-à-vis des savoir-faire québécois en matière de mobilisation des technologies d’information et de communication dans le champ de l’éducation :
« Les élèves de ma génération avaient connu les premiers essais balbutiants de ce que l’on appelait “le cinéma à l’école”. L’ère de l’audio-visuel en France n’était pas encore commencée. À l’Ens de St Cloud, avec la première équipe française qui avait été envoyée au Canada à la fin de la guerre et qui était revenue pour créer le Centre audio-visuel (R. Lefranc, J. Noizet, P. et L. Leboutet) je découvrais les techniques modernes mais aussi les problèmes pédagogiques nouveaux que soulevaient de tels nouveaux moyens de transmission des messages éducatifs. »[1]
Il soutiendra ses deux thèses (sur l’enseignement des mathématiques et sur la formation des professeurs de mathématiques) en 1957. Mais dès 1953, il est recruté comme « chef de travaux » à l’Université de Caen, pour y développer l’enseignement de la psychologie et y créer la licence : et c’est à Caen qu’il va accomplir la quasi-totalité de sa carrière entre 1953 et 1984, soit 31 années, du statut de chef de travaux à celui de professeur (avec « chaire »).
À la même époque, Robert Dottrens, professeur à l’Université de Genève et co-fondateur, avec Jean Piaget, du Bureau international d’éducation en 1929, amorce la création d’un réseau francophone de recherche en psycho-pédagogie, ou en pédagogie expérimentale, qui deviendra l’Association internationale de Pédagogie expérimentale de langue française (Aipelf) en 1958. La présidence en sera confiée à Gaston Mialaret pendant plus de 20 années, pendant lesquelles l’Aipelf tiendra son colloque annuel par deux fois au Québec : en 1967 à Sherbrooke et en 1974 à Montréal.
Comme il l’avait fait à Saint-Cloud, Gaston Mialaret crée à Caen, dès 1956, un « laboratoire de psycho-pédagogie ». Et ce laboratoire gardera ce nom quand, en octobre 1967, la chaire professorale de Psychologie de Gaston Mialaret sera transformée en chaire de « Sciences de l’éducation », après la création de cette discipline universitaire par le décret du 11 février 1967. Mais dans le début de ces années soixante, c’est encore la notion de pédagogie qui s’impose, en France, pour nommer ce champ culturel (en Suisse, l’Institut Jean-Jacques Rousseau fut intitulé « École des sciences de l’éducation » dès 1912). Et c’est encore ce même mot qui sera choisi pour qualifier le très important Traité des sciences pédagogiques, coordonné par M. Debesse et G. Mialaret, dont les huit volumes seront édités aux Presses Universitaires de France entre 1969 et 1978.
C’est donc en 1967 que, sous l’impulsion de Maurice Debesse, Jean Château et Gaston Mialaret, sont créées les Sciences de l’éducation dans trois universités françaises : Paris, Bordeaux et Caen. Cette création indique probablement un double élargissement des ambitions de la pédagogie : traditionnellement à dominante philosophique et psychologique, celle-ci s’ouvre à l’ensemble des questionnements des sciences humaines dans le champ de l’éducation ; elle s’élargit également à d’autres publics — de l’enfance aux adultes —, et s’efforce désormais de prendre en compte la multiplicité des pratiques sociales dans l’ensemble des instances d’éducation (famille, école, mouvements de jeunesse, lieux de gérontologie, éducation informelle…).
Parallèlement, Gaston Mialaret succède à Henri Wallon à la présidence du Groupe français d’éducation nouvelle en 1962 ; il allait le rester jusqu’en 1969.
La revue Les Sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle est créée à Caen en 1967 (le premier numéro — qui paraît quelques mois avant le premier numéro de la Revue française de pédagogie — porte la date de « janvier-mars 1967 »). Cette revue témoigne du double engagement de Gaston Mialaret : l’engagement dans le militantisme pédagogique inscrit dans le mouvement de l’éducation nouvelle (la nouvelle revue reprend le titre de la revue du Gfen, Pour l’ère nouvelle), et l’engagement dans la pédagogie à aspiration scientifique (la revue prend pour titre principal le nom de la discipline universitaire qui est sur le point d’être créée, Les Sciences de l’éducation, et elle publiera régulièrement les actes des congrès de l’Aipelf).
Après avoir été co-responsable de l’institutionnalisation de la discipline universitaire des Sciences de l’éducation en France, il contribue fortement à sa structuration : en participant à la création de l’Association des Enseignants et Chercheurs en Sciences de l’éducation, en 1971 (il la préside de 1976 à 1982), ou encore en dirigeant deux grandes collections de sciences de l’éducation aux Presses Universitaires de France pendant près de quarante ans.
Gaston Mialaret fut également président de l’Organisation mondiale pour l’éducation pré-scolaire (Omep) de 1968 à 1974. Le combat pour la petite enfance incarnait bien les lignes de force de son univers.
Il fut nommé professeur associé à l’Université de Sherbrooke en 1969 ; il y collaborera au Centre de recherche sur l’éducation au travail (CRET) pendant plusieurs années. En 1987, il reçut la distinction de docteur honoris causa en éducation de cette université.
Il fut expert auprès des grands organismes : Unesco, Oua, Unicef, Ocde… Il accomplit de très nombreuses missions, plus particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud. Il fut directeur du Bureau International de l’Éducation, à Genève, en 1987-1988.
La somme des écrits scientifiques de Gaston Mialaret, livres, articles et rapports de recherche, est immense : Éducation nouvelle et monde moderne, Puf, 1966 ; L’apprentissage des mathématiques, Bruxelles, Dessart, 1967 ; Vocabulaire de l’éducation, Paris, Puf, 1979 ; Pédagogie générale, Paris, Puf, 1991 ; Le Plan Langevin-Wallon, Paris, Puf, 1997 ; Les sciences de l’éducation, Paris, Puf, « Que sais-je ? », première édition en 1976, 11e édition en 2011 ; Le nouvel esprit scientifique et les sciences de l’éducation, Paris, Puf, 2010…
Les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur français, Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon, nous rappellent le rôle qu’il a joué au Québec dans le développement exceptionnel de la discipline des Sciences de l’éducation : « Infatigable militant pour l’éducation nouvelle et préscolaire, Gaston Mialaret a contribué à développer les sciences de l’éducation au Québec et a joué un rôle important auprès des générations de chercheurs qui se sont formés auprès de lui, en publiant leurs travaux en sa qualité d’éditeur aux Presses universitaires de France ».
« Il avait comme secret espoir de parfaire la sphère du monde de l’éducation, de faire qu’elle vienne assurer à tout enfant, à tout adolescent et à toute adolescente voire à tout adulte, le bonheur de vivre au prix d’un épanouissement total de ses possibilités. » [J.G.]
par Henri Peyronie – Université de Caen-Normandie, CERSE EA 965
[1] MIALARET G. (1993). « Itinéraire de vie ». Perspectives documentaires en éducation, n°28, p. 5-26.
J’ai eu l’honneur de succéder à Louis Legrand en 1988 sur son poste de professeur de Sciences de l’éducation à l’Université Louis Pasteur à Strasbourg. J’ai surtout eu la chance d’animer avec lui pendant quatre ans un séminaire de DEA (master 2 recherche) intitulé « Pédagogie et politique ». Ce titre me semble très bien caractériser l’itinéraire et le positionnement de Louis Legrand dans le champ de l’éducation. Positiviste, il représente à merveille, par ses engagements et par ses responsabilités institutionnelles, cette période des années 1970-1990 qui a articulé en France, entre Haby et Savary, le « savoir pédagogique » et la « volonté politique ». Le rôle de la pédagogie, c’est d’établir la preuve scientifique de la supériorité de certaines pratiques et organisations de la scolarisation ; le rôle de la politique, c’est de reconnaître cet apport et de le diffuser par ses lois et ses décrets. Le problème, ce n’est pas, pour Louis Legrand, que la pédagogie ne parvienne pas à établir ce qu’il convient de faire pour assurer la réussite démocratique de l’institution scolaire, mais c’est bien que le politique ne parvienne pas à faire les choix nécessaires pour les rendre effectifs dans l’ensemble du système. Louis Legrand en fera l’amère expérience et il en éprouvera beaucoup de dépit tout le reste de son existence. On sait ce qu’il faut faire, mais on ne veut pas le faire, car on recule face aux résistances. La démonstration pédagogique est alors balayée par les circonvolutions politiques.
Louis Legrand est décédé le 20 octobre 2015, à l’âge de 94 ans. Né à Belfort en 1921, jeune encore, il s’engage rapidement, à 14 ans, dans les Jeunesses socialistes. Il passe son baccalauréat en 1939 à 18 ans et enseigne aussitôt en primaire dans un milieu rural. Mais il entreprend parallèlement une licence de philosophie à Besançon qu’il obtient à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il sera alors professeur de philosophie au lycée de Vesoul. Puis il passe le concours d’inspecteur du primaire qu’il réussit en 1949, pour se retrouver pendant 5 ans en Alsace comme inspecteur. Il dira que c’est là qu’il a appris le métier de pédagogue, au contact en particulier des instituteurs Freinet. Il enseigne ensuite le pychopédagogie pendant un an à l’Ecole normale de Grenoble, avant de revenir comme inspecteur à Colmar jusqu’en 1962.
Mais cela ne lui suffit pas. En 1958, il soutient, sous la directeur de Paul Ricoeur, une thèse de philosophie centrée sur la pédagogie (« Principes philosophiques d’une pédagogie de l’explicitation », qui donnera lieu à la publication en 1960 de « Pour une pédagogie de l’étonnement »). En fait, Louis Legrand s’inscrit ici dans le sillon de l’Education nouvelle, qui restera son ancrage pédagogique dominant durant toute son action.
En 1962, il est nommé Inspecteur d’Académie à Belfort puis, en 1966, il se retrouve directeur de recherches à l’Institut pédagogiques national, ancêtre de l’Institut national de la recherche pédagogique. C’est lui qui va lancer l’opération « collèges expérimentaux », qui va se déployer en deux phases (1967-1975 et 1977-1980). Pourquoi le collège ? Parce qu’il avait été profondément bousculé par la réforme Haby de 1975, réforme dite du « collège unique », qui poursuivait l’école primaire unique et qui consistait à réunir dans les mêmes classes des élèves distribués précédemment dans des filières distinctes et hiérarchisées. Certes les différences institutionnelles étaient gommées, mais les différences entre les élèves désormais dans les mêmes classes, elles, étaient accentuées et posaient bien des problèmes aux enseignants qui, eux, s’accrochaient à l’homogénéité des élèves. Que faire ? Mettre en place la « pédagogie différenciée », mixte des principes de l’Education nouvelle et des dispositifs de la pédagogie par objectifs. Et reprendre les acquis des pédagogies de l’apprentissage, soit créer des situations qui permettent à l’élève de répondre à son besoin d’apprendre.
Les collèges expérimentaux ont prouvé, sur des bases scientifiques, que cette pédagogie est possible et répond à la situation présente. Il restait à généraliser cette expérimentation. L’occasion va se présenter pour Louis Legrand. En 1980, il devient professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg, mais surtout, en 1981, il est appelé par le ministre de l’éducation Alain Savary, nommé à l’arrivée de la gauche au pouvoir, à présider un groupe de pilotage chargé d’élaborer une réforme du collège. Louis Legrand devient ainsi, aux côtés d’Antoine Prost pour les lycées et de André de Peretti pour la formation des enseignants, le symbole de la volonté politique de réforme pédagogique de la gauche. Il ne pouvait rêver mieux. Et effectivement, le rapport qu’il fournit, « Pour un collège démocratique », prône un tournant très significatif. Il y est question d’établissements autonomes d’une centaine d’élèves sous la responsabilité d’une équipe pédagogique, de la latitude d’organiser l’enseignement en formant des groupes temporaires d’élèves en fonction des besoins, de la possibilité d’adapter les programmes, de la mise en oeuvre de la pédagogie du projet impliquant plusieurs disciplines, de l’instauration d’un système de tutorat qui voit un adulte prendre en charge un petit groupe d’élèves sur l’ensemble de leur scolarité, de l’égale dignité des enseignements artistiques, technologiques et sportifs au regard des autres matières, d’une redéfinition du service des enseignants sur la base de 16 heures de cours pour tous, de 3 heures de tutorat et de 3 heures de concertation.
On retrouve là, d’une part, bien des bases pédagogiques de l’Education nouvelle, d’autre part, bien des pratiques validées dans les collèges expérimentaux. On retrouve là aussi ce qui ressortira ultérieurement (mais de façon plus diluée) lorsque, dans les décennies suivantes, on parlera de réformer le collège unique, au moins dans un sens « progressiste » et non pas « régressif ». Mais, pour le moment, dès 1982, la « réforme Legrand » est mise à mal et vilipendée. Le principal syndicat du secondaire, le SNES, s’arqueboute (notamment contre la redéfinition du service des enseignants et le tutorat qu’il dénonce comme de « l’animation »), tandis que les forces traditionalistes, elles, dénoncent la destruction de l’école. Louis Legrand, qui aurait dû devenir directeur des collèges, ne le sera pas. Alain Savary recule devant l’ampleur des protestations et ne retient, in fine, que des brides de la « réforme Legrand », brides qui pourront entrer en vigueur à partir de 1984 par tranche de 10% et par volontariat. Alain Savary, à son tour, sera balayé de son ministère en 1984, sous l’assaut des défenseurs de l’enseignement privé. Il sera remplacé par Jean-Pierre Chevènement, pour qui tout changement est un renoncement à l’école traditionnelle, « la vraie ».
Louis Legrand reprend son poste à Strasbourg, amer et dépité. D’une certaine manière, avec lui, c’est toute la grande époque de l’articulation du politique et du pédagogique qui s’éteint. Il ne l’acceptera pas et continuera à témoigner, par ses écrits, de la nécessité de changer l’institution scolaire pédagogiquement et politiquement. Quelques titres de ses ouvrages en témoignent : « L’école unique : à quelles conditions ? » (1981), « Les politiques de l’éducation » (1988), « Une école pour la justice et la démocratie » (1995), « Les différenciations de la pédagogie » (1995). Il était nostalgique de ce grand moment qu’il avait connu et animé. Nous, nous sommes nostalgiques de la force et du parcours de cet homme, de ses convictions et de ses actions. Et nous saluons aussi le beau titre de « pédagogue » qui lui est attribué, lui qui était professeur en Sciences de l’éducation !
Jean Houssaye
Professeur émérite en Sciences de l’éducation
Université de Rouen
Jacques Ardoino, décédé le 20 février 2015, a été un penseur majeur du champ des sciences de l’éducation et de la réflexion éducative durant ces dernières décennies. De formation universitaire plurielle, connaissant de l’intérieur le monde de l’entreprise, comme celui de l’enseignement public, il a su non seulement suggérer des orientations éducatives inédites, mais précéder avec pertinence et discernement les préoccupations d’aujourd’hui. Licencié en droit, en psychologie, en philosophie, docteur de troisième cycle en « administration des entreprises », docteur d’Etat, en 1973, avec une thèse sur travaux, Jacques Ardoino a compris, un des premiers, l’inéluctable relation que l’université devait nouer tant avec le monde du travail qu’avec celui de la culture, comme l’inéluctable réflexion que l’université devait mener sur la formation permanente et sur la formation d’adultes. Sa carrière montre d’ailleurs le croisement entre ces divers mondes : chef du « département de psychosociologie appliqué aux affaires », à l’université de Bordeaux, entre 1960 et 1967, il a été ensuite maître assistant en sciences de l’éducation et successivement professeur dans la même discipline à l’université de Caen et à l’université de Paris VIII. Ce sont bien ces compétences et ces intérêts pluriels qui l’ont conduit à publier, dès 1961, des textes sur la formation en entreprise, « Formation en profondeur au service du perfectionnement des Cadres » (Revue Jeune patron), à diriger durant plusieurs années (1965-1980) la collection « Hommes et organisation » aux éditions Gauthier Villars, et à fonder en 1981, une revue dont les travaux et l’ouverture à la pluralité des perspectives se sont avérés remarquables, Pratiques de Formation-Analyses, publiée par le service de formation permanente de l’université de Paris VIII.
Au-delà de cette volonté de rapprocher deux mondes, Jacques Ardoino a également contribué à renouveler la réflexion sur les méthodes éducatives. Formé à la psychosociologie dès les années 1950, cofondateur de ce champ avec Max Pagès, Serge Moscovici, Guy Palmade, introducteur en France du psychodrame de Moreno, il a su suggérer un regard neuf sur les relations éducatives : considérer la classe comme un groupe, percevoir les interrelations qui y règnent, déceler les leaders, les dominés, les exclus, adapter le comportement pédagogique en fonction, très précisément, de ces informations. Seule une compétence particulière permet de relever de tels indices, seule une même compétence permet de les rendre opérants dans l’acte d’enseignement (voir son livre, Education et relations, Gauthier Villars, 1980). Autant de réflexions initiées par le livre majeur, Propos actuels sur l’éducation (1965), où existent en germe l’ensemble des propositions qui ont suivi.
L’originalité de Jacques Ardoino dans le champ éducatif ne se limite pourtant pas à des indications de méthodes. Un véritable travail conceptuel traverse l’ensemble de ses publications. La notion de « multi-référentialité » est sans doute la plus importante, comme là plus connue. Rien d’autre ici que la tentative de faire coexister des connaissances venues de champs différents et généralement non reliées entre elles : le choix de la multi-discipline bien évidemment, à la quelle les sciences de l’éducation sont inévitablement confrontées, mais aussi le choix de la prise en compte de l’irrationalité comme de la rationalité, de la logique de l’individu comme de celle du collectif. La prise en compte que toute situation s’inscrit dans des champs multiples et revêt des sens différents pour les acteurs qui y sont impliqués, acteurs et non simplement agents et parfois même « auteurs » en fonction d’un processus d’autorisation, processus instituant qui lui paraissait essentiel. Une manière exigeante, autrement dit, de faire exister la « complexité », celle même qui est au cœur de l’éducation complexité qui n’est pas seulement lien mais prise en compte de l’inexorable altérité de l’autre. L’œuvre de Jacques Ardoino demeure, à cet égard, un exemple, une leçon et a marqué ce qu’il y a de plus vivant dans la recherche en éducation aujourd’hui. L’opposition d’ordre conceptuel et épistémologique qu’il établit entre les procédures du contrôle et le processus de l’évaluation, sa lutte contre la confusion entre la nécessaire rationalité de l’organisation et l’instauration de valeurs dans la fondation institutionnelle, sa volonte de penser la tension entre la platitude du projet-programme et l’aspiration du projet-visée sont au cœur des incompréhensions actuelles.
Accéder au site de Jacques Ardoino