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Professionnalisation des métiers du cirque. Des processus de formation et d’insertion aux épreuves identitaires

metiers-du-ciruqe Sous la direction de Thérèse Perez-Roux, Richard Étienne et Josiane Vitali

L’Harmattan (collection Logiques sociales), 2016

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L’ouvrage dans son contexte

Professionnalisation des métiers du cirque. Des processus de formation et d’insertion aux épreuves identitaires paraît chez L’Harmattan en 2016, dans la collection Logiques sociales dirigée par Bruno Péquignot, sociologue des arts et de la culture et professeur de l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Cette collection réunit des chercheurs et des praticiens et elle entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l’action sociale : « En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d’un terrain, d’une enquête ou d’une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques » (p. 2). Le livre n’a pas la prétention d’innover sur le plan théorique ou méthodologique, mais il atteint son objectif de rendre compte d’expériences et de pratiques qui contribuent à une meilleure compréhension d’un phénomène social riche sur le plan symbolique et signifiant d’un point de vue artistique, voire économique : la professionnalisation des métiers du cirque présentée comme un enjeu et comme un défi.

L’ouvrage est un collectif dirigé par Thérèse Perez-Roux, professeure en sciences de l’éducation de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, dont les travaux portent sur la professionnalisation des enseignants et sur les dynamiques identitaires des acteurs de l’éducation; par Richard Étienne, professeur émérite en sciences de l’éducation de l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Montpellier, réputé formateur d’enseignants qui poursuit ses travaux sur le changement, l’encadrement et la formation; et de Josiane Vitali, doctorante en sciences de l’éducation qui travaille sous la supervision de Richard Étienne sur les pratiques de loisirs des arts du cirque, après avoir étudié le nomadisme dans la formation supérieure des artistes de cirque en France. Les trois auteurs sont associés au Laboratoire Interdisciplinaire des Recherches en Didactique Éducation Formation (LIRDEF) de Montpellier. Dix autres collègues signent les textes de l’ouvrage, organisé en deux parties et neuf chapitres. La première partie traite de l’insertion et de la professionnalisation eu égard aux risques de déprofessionnalisation dans les métiers du cirque. La deuxième partie porte sur les identités professionnelles des métiers du cirque. L’environnement privilégié est essentiellement celui de la France.

Le contenu de l’ouvrage

En guise de mise en bouche, Valérie Fratellini se confie à Josiane Vitali. Fille d’Annie Fratellini, chanteuse et comédienne devenue clown, et de Pierre Granier-Deferre, un réalisateur opposé à la Nouvelle Vague, Valérie Fratellini fait carrière au cirque avant d’assurer la direction pédagogique de l’Académie Fratellini, fondée en 1974 (sous le nom d’École nationale du cirque) par sa mère et son conjoint, Pierre Etaix, figure charismatique du cirque, mais aussi du cinéma, entre autres aux côtés de Jacques Tati. L’Académie Fratellini porte aujourd’hui le projet d’un centre de formation supérieure aux arts du cirque qui délivre le Diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque (niveau licence) après trois ans de formation. L’école que connaît Valérie Fratellini dans les années 1970 est toutefois sans cursus ni diplôme. Elle permet d’approcher l’acrobatie et le mouvement du corps, compétences utiles pour le théâtre. Raymond Devos et Jean-Louis Barrault soutiennent alors les époux Fratellini-Etaix dans leur projet.

Les trois directeurs de l’ouvrage signent ensuite l’introduction qui rend compte que la professionnalisation dans les arts du cirque ne va pas de soi. Ils rappellent que l’initiative du livre s’inscrit dans le cadre de deux symposiums tenus en 2011 et 2014. Le premier rend possible la publication en 2014 d’un livre intitulé Quelle formation professionnelle supérieure pour les arts du cirque ?  Le second conduit au présent ouvrage. Les auteurs prennent soin de bien définir les concepts-pivots. Inspirés par Raymond Bourdoncle, ils définissent la professionnalisation comme l’articulation de trois processus : l’amélioration du statut d’une activité et sa reconnaissance sociale; ses formes de socialisation, entre autres les valeurs et les normes défendues collectivement par le groupe des professionnels; le processus d’amélioration des capacités et de rationalisation des savoirs mis en œuvre dans l’exercice de la profession. Ce processus constitue une avancée qui permet de rendre visibles les métiers artistiques dans le champ social et culturel, croient-ils, mais il porte aussi sa part de possibles dérives pouvant amorcer des formes de déprofessionnalisation. Se référant cette fois à Lise Demailly et à Patrice de la Broise qui se sont consacrés à trois cas empiriques (les postiers, les universitaires et les psychiatres), ils estiment que la déprofessionnalisation se manifeste par la souffrance et la perte de repères avec, entre autres phénomènes, une augmentation des régulations de contrôle par la hiérarchie qui fragilisent les pratiques autonomes des acteurs.

Richard Étienne inaugure la première partie de l’ouvrage avec le chapitre 1 portant sur les ambiguïtés de la professionnalisation et le recours au professionnel. Sa contribution est riche de références classiques (Kant, Freud et Lévi-Strauss) et contemporaines, celles-là ayant trait entre autres aux compétences des acteurs, au « savoir agir en situation » (Le Boterf) dans les « métiers de l’interaction humaine » (Jorro). Il rappelle la difficulté à enfermer les professions artistiques dans un ensemble de normes, l’autonomie de l’acteur pouvant y être étouffée. Une profession s’auto-organise avec un ordre professionnel qui détermine des règles et gère des sanctions; avec un code de déontologie; avec une expertise; et avec une obligation de moyens imposant une formation tout au long de la vie qui assure un monopole par le biais d’une cooptation de nature universitaire. Cette cooptation entraîne une reproduction, prélude au corporatisme qui fait que la profession se préoccupe plus des intérêts de ses membres que de l’intérêt général. Le cirque connaît plusieurs évolutions et révolutions croit l’auteur, dont la plus récente concerne le développement d’une formation diplomante à ses métiers. Il présente quatre modèles de formation aux métiers du cirque : familial, en école, libéral (laissé à la discrétion des acteurs) et universitaire. Confier cette formation à l’enseignement supérieur représente un progrès par rapport au modèle familial, mais cette institutionnalisation peut avoir des conséquences négatives : banalisation liée à une organisation normée dont la tradition est la seule justification; uniformisation, alors que la transgression des normes est souvent associée à l’activité de création; ambiguïté autour de la notion de risque puisque plusieurs pratiques « risquées » constituent l’essence du spectacle de cirque. En conclusion, Richard Étienne dit préférer parler de développement professionnel plutôt que de professionnalisation : « Je préconise d’éviter de tomber dans le piège de la professionnalisation/déprofessionnalisation pour aller vers une « professionnalité des métiers du cirque » qui permettra de formaliser puis développer des gestes professionnels spécifiques à ces métiers dans le cadre d’un accès de plus en plus aisé et instantané aux performances les plus spectaculaires mais aussi les plus « convenables » sur les plans artistique, historique et éthique » (p. 55).

Quatre autres contributions alimentent la première partie de l’ouvrage. Elles rendent compte d’une intention de professionnalisation des métiers du cirque et de sa traduction dans des dispositifs particuliers. Josiane Vitali consacre le chapitre 2 au secteur de l’animation dans les écoles de sport et loisir qui se pratique en amont de l’entrée dans un métier du cirque. Elle dresse  un historique du milieu de l’animation en France avant de s’intéresser à l’alternative entre professionnalisation et socialisation professionnelle. « L’animation doit-elle faire le deuil des valeurs militantes qui sont à son origine ou se consacrer à une logique entrepreneuriale qui en assurera la survie ? » (p. 77). Elle espère qu’un troisième symposium permettra de répondre à la question. Stéphane Simonin, directeur de l’Académie Fratellini depuis 2011, propose dans le chapitre 3 le portrait très descriptif de la formation offerte : cours collectifs, accompagnement individuel, stages de travail approfondis autour d’un thème et cours offerts par l’Université Paris 8 dans le cadre de la licence en théâtre. Le chapitre 4 permet à Marine Cordier de s’intéresser à la question du genre dans les métiers du cirque. Elle est maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre et titulaire d’un doctorat en sociologie avec une thèse portant sur la professionnalisation des métiers du cirque. Les femmes représentent 33 % des professionnels du cirque, mais plusieurs réussissent à ne pas s’enfermer dans des spécialités typiquement féminines. Le « plafond de verre » joue néanmoins, observe l’auteure, qui remarque que moins de 30 % des femmes sont impliquées dans des fonctions de création ou de direction artistiques. Barbara Appert-Raulin, responsable de la formation permanente au Centre national des arts du cirque en Châlons-en-Champagne, décrit dans le chapitre 5 le contenu des référentiels d’activités et de certification dans les écoles de cirque. Ces écoles sont nombreuses, jeunes et elle cherchent leur parcours, leurs pédagogies et leurs univers artistiques, croit l’auteure. Un Diplôme d’État de professeur de cirque a notamment été créé en 2013.

La seconde partie de l’ouvrage s’amorce avec le chapitre 6 et une contribution de Thérèse Perez-Roux s’inscrivant à la périphérie de l’univers du cirque. Elle rend compte des résultats d’une recherche réalisée entre 2009 et 2011 et portant sur les dynamiques identitaires dans le parcours de professionnalisation des danseuses et des danseurs se formant pour passer le Diplôme d’État de danse : « entre les premières représentations sur l’enseignement de la danse et la projection de soi dans le futur métier, se jouent des transactions qui puisent dans l’expérience passée et présente, ouvrant sur de multiples interactions » (p. 163). Martine Leroy, codirectrice et fondatrice de Balthasar, un centre des arts du cirque à Montpellier, et Martin Gerbier, directeur du centre, s’intéressent pour leur part dans le court chapitre 7 au phénomène de la préprofessionnalisation comme « un temps important lors duquel interagissent construction identitaire et désir artistique pour venir confirmer ou réorienter le projet professionnel » (p. 165). Magali Sizorn, maître de conférences à l’Université de Rouen, propose dans le chapitre 8 un angle de traitement original du phénomène : celui de la maternité des artistes de cirque. Il s’agit là d’un marqueur temporel qui active la crainte de perdre les qualités physiques requises pour exercer sa prestation artistique et celle d’être oubliée au moment du retour. Émilie Salaméro, maître de conférences à l’Université de Poitiers, Samuel Juhle, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et Marina Honta, professeure à l’Université de Bordeaux, dans le chapitre 9, posent le problème de la reconversion des artistes de cirque au croisement de regards issus de la sociologie de l’action publique et de la sociologie des professions.

La conclusion de l’ouvrage est l’oeuvre de Philippe Goudard, artiste (clown, auteur de cirque, producteur et interprète de cirque), scientifique (docteur en médecine et en arts du spectacle) et professeur à l’Université Paul-Valéry de Montpellier où il dirige le programme de recherche « Cirque : histoire, imaginaires, pratiques ». Il rend compte, de manière synthétique, que le cirque participe de l’industrie du spectacle et du divertissement sous différentes modalités : libérale (comme avec le cas du Cirque du Soleil), d’État (les cirques de Moscou et de Pékin, par exemple) ou mixtes. Les valeurs que véhicule le cirque en font, selon lui, un produit idéalement équitable, au fort pouvoir attractif. Il observe que la formation aux arts du cirque intéresse un nombre croissant de filles et de garçons séduits par l’idée de s’épanouir grâce aux métiers du cirque, mais que le milieu professionnel est peu accueillant. « La démocratisation des arts du cirque, nés au creuset des loisirs et du délassement aristocratiques, n’est pas achevée » (p. 222-223), tranche-t-il. Il fonde quelque espoir dans les « États généreux du cirque » où, à compter de 2016, des professionnels du cirque partagent avec le public afin de récolter la parole, les idées et les propositions visant à faire un état des lieux, à réfléchir sur le cirque dans le paysage culturel, sur sa vitalité en France et sur ses répercussions dans le monde.

Une appréciation personnelle

Le livre propose quelques analyses solides sur le phénomène de la professionnalisation des métiers du cirque, notamment celle de Richard Étienne dans le chapitre 1 qui constitue le vecteur fort de l’ouvrage. Sont aussi proposés plusieurs textes descriptifs qui constituent des matériaux de recherche de première importance afin de rendre compréhensible le phénomène de la professionnalisation des métiers du cirque en France. Rappelons que la collection Logiques sociales entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l’action sociale : dans cette perspective, la proposition du collectif respecte ce contrat moral.

Nous avons apprécié la dialectique professionnalisation / déprofessionnalisation présente tout au long de l’ouvrage. Autant les aspects positifs de la professionnalisation sont développés, autant ceux plus négatifs sont rappelés. Inscrites aux pratiques circassiennes, il y a cette volonté artistique de transgresser les règles, cette joute habile pour défier le risque, bref, toutes choses qui vont à l’encontre de quelque phénomène d’uniformisation inhérent à la professionnalisation.

La facture de l’ouvrage est « franco-française », mais on ne saurait le reprocher aux auteurs qui l’annoncent d’emblée. Il est d’ailleurs légitime d’étudier un phénomène à partir de la situation observée sur le plan national. N’empêche que toute incursion dans des espaces géographiques et culturels autres que celui de la France est accueillie avec grand intérêt. Dans son texte trop bref, Philippe Goudard parle du cirque occidental, de l’ex-URSS, de la Chine et de l’Amérique latine. Nous devinons sa connaissance fine de l’univers du cirque et nous apprécions sa posture transdisciplinaire qui contribue magnifiquement à rendre compréhensible le phénomène, dans son essence et dans sa complexité. Nous aurions lu avec grand intérêt un substantiel chapitre de mise en contexte, signé Philippe Goudard, au croisement de ses préoccupations et de son expérience d’artiste de cirque, de scientifique et d’universitaire.

La mise en bouche proposée en début d’ouvrage et présentant le témoignage d’Annie Fratellini est aussi trop brève. Cette femme a vécu, depuis les années 1970, l’institutionnalisation de la formation au métier du cirque et sa professionnalisation, sans compter sa filiation à l’une des plus grandes familles dynastiques du cirque. Nous pouvons espérer que son témoignage, couplé avec celui d’autres figures marquantes du domaine – Pierre Etaix notamment – soit colligé afin d’être accessible aux chercheurs intéressés par le monde circassien.

L’ouvrage saura-t-il trouver son lectorat ? Nous le souhaitons, mais cela constitue toujours un défi. Ceux et celles qui s’intéressent à la professionnalisation trouveront dans ces pages plusieurs références théoriques d’une grande pertinence. Les amants du cirque découvriront un aspect de cette institution assez peu mis en évidence jusqu’à maintenant. Cela dit, ce livre mérite grandement d’être lu, surtout par les lecteurs et les lectrices de  Phronesis, d’emblée intéressés par les problématiques relatives à la professionnalisation des métiers adressés à autrui.

Jean Bernatchez, Ph.D.
Professeur-chercheur
Politologue spécialisé en éducationUnité départementale des sciences de l’éducation
Groupe de recherche Apprentissage et socialisation (APPSO)
Université du Québec à Rimouski300, allée des Ursulines
Rimouski (Québec) G5L 3A1
Jean_Bernatchez@uqar.ca

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Hommage à Gaston Mialaret (1918-2016)

La communauté des Sciences de l’éducation est en deuil après le décès de Gaston Mialaret — entouré des siens — ce 30 janvier 2016, à l’âge de 97 ans.

Gaston Mialaret est et restera une grande figure de la pédagogie et des Sciences de l’éducation francophones. Il a été, avec Jean Château et Maurice Debesse, le créateur de cette discipline dans l’Université française, en 1967.

Gaston Mialaret est né en 1918. Au milieu des années trente, il est élève-maître à l’école normale d’instituteurs de Cahors ; puis il fait des études de mathématiques à l’Université de Toulouse.

Il est instituteur pendant quelques temps dans le département du Lot à partir de 1939. Puis après la guerre et le temps de la mobilisation, il devient professeur de mathématiques au lycée d’Albi où, après la Libération, il est chargé d’organiser « les classes nouvelles » impulsées par Gustave Monod au ministère.

Désireux de devenir directeur d’école normale, Gaston Mialaret se présente au concours d’élèves-inspecteurs de l’École normale supérieure de Saint-Cloud en 1946.

Parallèlement à sa formation d’élève-inspecteur, il est parmi les tout premiers étudiants (en même temps que l’un des premiers intervenants…) de la nouvelle licence de psychologie, créée à la Sorbonne en 1947. Il suit les cours de P. Guillaume, R. Cousinet, D. Lagache, ainsi que ceux de H. Wallon, de H. Piéron et de R. Zazzo qui allaient exercer sur lui une influence déterminante. Il est reçu au concours du professorat de psycho-pédagogie des Enna (École normale nationale d’apprentissage), ces écoles créées en 1945 en vue de la formation des personnels enseignants des Centres d’apprentissage (ancêtres des lycées professionnels).

Sur la proposition de Wallon, c’est comme assistant à l’Ens de Saint-Cloud que Gaston Mialaret est alors recruté ; il y organise le premier laboratoire de psycho-pédagogie de cette école en 1948.

Dès cette époque des échanges et des interactions s’installent entre les pédagogues universitaires français et Québécois. Gaston Mialaret évoque ainsi la dette de l’ l’Ens de Saint-Cloud vis-à-vis des savoir-faire québécois en matière de mobilisation des technologies d’information et de communication dans le champ de l’éducation :

« Les élèves de ma génération avaient connu les premiers essais balbutiants de ce que l’on appelait “le cinéma à l’école”. L’ère de l’audio-visuel en France n’était pas encore commencée. À l’Ens de St Cloud, avec la première équipe française qui avait été envoyée au Canada à la fin de la guerre et qui était revenue pour créer le Centre audio-visuel (R. Lefranc, J. Noizet, P. et L. Leboutet) je découvrais les techniques modernes mais aussi les problèmes pédagogiques nouveaux que soulevaient de tels nouveaux moyens de transmission des messages éducatifs. »[1]

Il soutiendra ses deux thèses (sur l’enseignement des mathématiques et sur la formation des professeurs de mathématiques) en 1957. Mais dès 1953, il est recruté comme « chef de travaux » à l’Université de Caen, pour y développer l’enseignement de la psychologie et y créer la licence : et c’est à Caen qu’il va accomplir la quasi-totalité de sa carrière entre 1953 et 1984, soit 31 années, du statut de chef de travaux à celui de professeur (avec « chaire »).

À la même époque, Robert Dottrens, professeur à l’Université de Genève et co-fondateur, avec Jean Piaget, du Bureau international d’éducation en 1929, amorce la création d’un réseau francophone de recherche en psycho-pédagogie, ou en pédagogie expérimentale, qui deviendra l’Association internationale de Pédagogie expérimentale de langue française (Aipelf) en 1958. La présidence en sera confiée à Gaston Mialaret pendant plus de 20 années, pendant lesquelles l’Aipelf tiendra son colloque annuel par deux fois au Québec : en 1967 à Sherbrooke et en 1974 à Montréal.

Comme il l’avait fait à Saint-Cloud, Gaston Mialaret crée à Caen, dès 1956, un « laboratoire de psycho-pédagogie ». Et ce laboratoire gardera ce nom quand, en octobre 1967, la chaire professorale de Psychologie de Gaston Mialaret sera transformée en chaire de « Sciences de l’éducation », après la création de cette discipline universitaire par le décret du 11 février 1967. Mais dans le début de ces années soixante, c’est encore la notion de pédagogie qui s’impose, en France, pour nommer ce champ culturel (en Suisse, l’Institut Jean-Jacques Rousseau fut intitulé « École des sciences de l’éducation » dès 1912). Et c’est encore ce même mot qui sera choisi pour qualifier le très important Traité des sciences pédagogiques, coordonné par M. Debesse et G. Mialaret, dont les huit volumes seront édités aux Presses Universitaires de France entre 1969 et 1978.

C’est donc en 1967 que, sous l’impulsion de Maurice Debesse, Jean Château et Gaston Mialaret, sont créées les Sciences de l’éducation dans trois universités françaises : Paris, Bordeaux et Caen. Cette création indique probablement un double élargissement des ambitions de la pédagogie : traditionnellement à dominante philosophique et psychologique, celle-ci s’ouvre à l’ensemble des questionnements des sciences humaines dans le champ de l’éducation ;  elle s’élargit également à d’autres publics — de l’enfance aux adultes —, et s’efforce désormais de prendre en compte la multiplicité des pratiques sociales dans l’ensemble des instances d’éducation (famille, école, mouvements de jeunesse, lieux de gérontologie, éducation informelle…).

Parallèlement, Gaston Mialaret succède à Henri Wallon à la présidence du Groupe français d’éducation nouvelle en 1962 ; il allait le rester jusqu’en 1969.

La revue Les Sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle est créée à Caen en 1967 (le premier numéro — qui paraît quelques mois avant le premier numéro de la Revue française de pédagogie — porte la date de « janvier-mars 1967 »). Cette revue témoigne du double engagement de Gaston Mialaret : l’engagement dans le militantisme pédagogique inscrit dans le mouvement de l’éducation nouvelle (la nouvelle revue reprend le titre de la revue du Gfen, Pour l’ère nouvelle), et l’engagement dans la pédagogie à aspiration scientifique (la revue prend pour titre principal le nom de la discipline universitaire qui est sur le point d’être créée, Les Sciences de l’éducation, et elle publiera régulièrement les actes des congrès de l’Aipelf).

Après avoir été co-responsable de l’institutionnalisation de la discipline universitaire des Sciences de l’éducation en France, il contribue fortement à sa structuration : en participant à la création de l’Association des Enseignants et Chercheurs en Sciences de l’éducation, en 1971 (il la préside de 1976 à 1982), ou encore en dirigeant deux grandes collections de sciences de l’éducation aux Presses Universitaires de France pendant près de quarante ans.

Gaston Mialaret fut également président de l’Organisation mondiale pour l’éducation pré-scolaire (Omep) de 1968 à 1974. Le combat pour la petite enfance incarnait bien les lignes de force de son univers.

Il fut nommé professeur associé à l’Université de Sherbrooke en 1969 ; il y collaborera au Centre de recherche sur l’éducation au travail (CRET) pendant plusieurs années. En 1987, il reçut la distinction de docteur honoris causa en éducation de cette université.

Il fut expert auprès des grands organismes : Unesco, Oua, Unicef, Ocde… Il accomplit de très nombreuses missions, plus particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud. Il fut directeur du Bureau International de l’Éducation, à Genève, en 1987-1988.

La somme des écrits scientifiques de Gaston Mialaret, livres, articles et rapports de recherche, est immense : Éducation nouvelle et monde moderne, Puf, 1966 ; L’apprentissage des mathématiques, Bruxelles, Dessart, 1967 ; Vocabulaire de l’éducation, Paris, Puf, 1979 ; Pédagogie générale, Paris, Puf, 1991 ; Le Plan Langevin-Wallon, Paris, Puf, 1997 ; Les sciences de l’éducation, Paris, Puf, « Que sais-je ? », première édition en 1976, 11e édition en 2011 ; Le nouvel esprit scientifique et les sciences de l’éducation, Paris, Puf, 2010…

Les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur français, Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon, nous rappellent le rôle qu’il a joué au Québec dans le développement exceptionnel de la discipline des Sciences de l’éducation : « Infatigable militant pour l’éducation nouvelle et préscolaire, Gaston Mialaret a contribué à développer les sciences de l’éducation au Québec et a joué un rôle important auprès des générations de chercheurs qui se sont formés auprès de lui, en publiant leurs travaux en sa qualité d’éditeur aux Presses universitaires de France ».

« Il avait comme secret espoir de parfaire la sphère du monde de l’éducation, de faire qu’elle vienne assurer à tout enfant, à tout adolescent et à toute adolescente voire à tout adulte, le bonheur de vivre au prix d’un épanouissement total de ses possibilités. » [J.G.]

par Henri Peyronie – Université de Caen-Normandie, CERSE EA 965

[1] MIALARET G. (1993). « Itinéraire de vie ». Perspectives documentaires en éducation, n°28, p. 5-26.

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L’intervention de coordination dans les métiers du prendre soin

par Yves Couturier et Louise Belzile

 

https://www.youtube.com/watch?v=MBV0BEB_kwA

En réponse à l’exigence de plus en plus affirmée d’une meilleure prise en compte des complexités constitutives des problèmes sociaux et de santé, les métiers du prendre soin (sciences infirmières, travail social, médecine, éducation, etc.) sont conviés à se coordonner davantage, et nombre de leurs intervenants remplissent une fonction relativement nouvelle de coordonnateur dédié. L’émergence de la coordination dans ces métiers constitue alors un puissant analyseur de la transformation de la professionnalité de ces divers métiers. Le présent ouvrage expose les fondements de cette transformation et en illustre certains de ses effets à travers la figure archétypique du gestionnaire de cas. Une telle figure de la coordination incarne la façon émergente de concevoir des services davantage intégrés pour mieux répondre aux besoins complexes des personnes. L’ouvrage s’adresse autant aux praticiens réflexifs, qu’aux étudiants et formateurs qui souhaitent comprendre les évolutions en cours. Il s’adresse aussi aux chercheurs qui étudient cette nouvelle façon de concevoir l’action professionnelle dans les métiers du prendre soin qu’est l’intervention de coordination. Cette réflexion se structure au tour des concepts d’intervention, de situation, de réflexivité, de collaboration interprofessionnelle et de médiation, soit autant de fondamentaux permettant de concevoir l’importance des pratiques de coordination dont le terrain d’action ne cesse de s’étendre.

Disponible sur le site des Éditions Champ Social 

 

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Hommage à Louis Legrand

J’ai eu l’honneur de succéder à Louis Legrand en 1988 sur son poste de professeur de Sciences de l’éducation à l’Université Louis Pasteur à Strasbourg. J’ai surtout eu la chance d’animer avec lui pendant quatre ans un séminaire de DEA (master 2 recherche) intitulé « Pédagogie et politique ». Ce titre me semble très bien caractériser l’itinéraire et le positionnement de Louis Legrand dans le champ de l’éducation. Positiviste, il représente à merveille, par ses engagements et par ses responsabilités institutionnelles, cette période des années 1970-1990 qui a articulé en France, entre Haby et Savary, le « savoir pédagogique » et la « volonté politique ». Le rôle de la pédagogie, c’est d’établir la preuve scientifique de la supériorité de certaines pratiques et organisations de la scolarisation ; le rôle de la politique, c’est de reconnaître cet apport et de le diffuser par ses lois et ses décrets. Le problème, ce n’est pas, pour Louis Legrand, que la pédagogie ne parvienne pas à établir ce qu’il convient de faire pour assurer la réussite démocratique de l’institution scolaire, mais c’est bien que le politique ne parvienne pas à faire les choix nécessaires pour les rendre effectifs dans l’ensemble du système. Louis Legrand en fera l’amère expérience et il en éprouvera beaucoup de dépit tout le reste de son existence. On sait ce qu’il faut faire, mais on ne veut pas le faire, car on recule face aux résistances. La démonstration pédagogique est alors balayée par les circonvolutions politiques.
Louis Legrand est décédé le 20 octobre 2015, à l’âge de 94 ans. Né à Belfort en 1921, jeune encore, il s’engage rapidement, à 14 ans, dans les Jeunesses socialistes. Il passe son baccalauréat en 1939 à 18 ans et enseigne aussitôt en primaire dans un milieu rural. Mais il entreprend parallèlement une licence de philosophie à Besançon qu’il obtient à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il sera alors professeur de philosophie au lycée de Vesoul. Puis il passe le concours d’inspecteur du primaire qu’il réussit en 1949, pour se retrouver pendant 5 ans en Alsace comme inspecteur. Il dira que c’est là qu’il a appris le métier de pédagogue, au contact en particulier des instituteurs Freinet. Il enseigne ensuite le pychopédagogie pendant un an à l’Ecole normale de Grenoble, avant de revenir comme inspecteur à Colmar jusqu’en 1962.
Mais cela ne lui suffit pas. En 1958, il soutient, sous la directeur de Paul Ricoeur, une thèse de philosophie centrée sur la pédagogie (« Principes philosophiques d’une pédagogie de l’explicitation », qui donnera lieu à la publication en 1960 de « Pour une pédagogie de l’étonnement »). En fait, Louis Legrand s’inscrit ici dans le sillon de l’Education nouvelle, qui restera son ancrage pédagogique dominant durant toute son action.
En 1962, il est nommé Inspecteur d’Académie à Belfort puis, en 1966, il se retrouve directeur de recherches à l’Institut pédagogiques national, ancêtre de l’Institut national de la recherche pédagogique. C’est lui qui va lancer l’opération « collèges expérimentaux », qui va se déployer en deux phases (1967-1975 et 1977-1980). Pourquoi le collège ? Parce qu’il avait été profondément bousculé par la réforme Haby de 1975, réforme dite du « collège unique », qui poursuivait l’école primaire unique et qui consistait à réunir dans les mêmes classes des élèves distribués précédemment dans des filières distinctes et hiérarchisées. Certes les différences institutionnelles étaient gommées, mais les différences entre les élèves désormais dans les mêmes classes, elles, étaient accentuées et posaient bien des problèmes aux enseignants qui, eux, s’accrochaient à l’homogénéité des élèves. Que faire ? Mettre en place la « pédagogie différenciée », mixte des principes de l’Education nouvelle et des dispositifs de la pédagogie par objectifs. Et reprendre les acquis des pédagogies de l’apprentissage, soit créer des situations qui permettent à l’élève de répondre à son besoin d’apprendre.
Les collèges expérimentaux ont prouvé, sur des bases scientifiques, que cette pédagogie est possible et répond à la situation présente. Il restait à généraliser cette expérimentation. L’occasion va se présenter pour Louis Legrand. En 1980, il devient professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg, mais surtout, en 1981, il est appelé par le ministre de l’éducation Alain Savary, nommé à l’arrivée de la gauche au pouvoir, à présider un groupe de pilotage chargé d’élaborer une réforme du collège. Louis Legrand devient ainsi, aux côtés d’Antoine Prost pour les lycées et de André de Peretti pour la formation des enseignants, le symbole de la volonté politique de réforme pédagogique de la gauche. Il ne pouvait rêver mieux. Et effectivement, le rapport qu’il fournit, « Pour un collège démocratique », prône un tournant très significatif. Il y est question d’établissements autonomes d’une centaine d’élèves sous la responsabilité d’une équipe pédagogique, de la latitude d’organiser l’enseignement en formant des groupes temporaires d’élèves en fonction des besoins, de la possibilité d’adapter les programmes, de la mise en oeuvre de la pédagogie du projet impliquant plusieurs disciplines, de l’instauration d’un système de tutorat qui voit un adulte prendre en charge un petit groupe d’élèves sur l’ensemble de leur scolarité, de l’égale dignité des enseignements artistiques, technologiques et sportifs au regard des autres matières, d’une redéfinition du service des enseignants sur la base de 16 heures de cours pour tous, de 3 heures de tutorat et de 3 heures de concertation.
On retrouve là, d’une part, bien des bases pédagogiques de l’Education nouvelle, d’autre part, bien des pratiques validées dans les collèges expérimentaux. On retrouve là aussi ce qui ressortira ultérieurement (mais de façon plus diluée) lorsque, dans les décennies suivantes, on parlera de réformer le collège unique, au moins dans un sens « progressiste » et non pas « régressif ». Mais, pour le moment, dès 1982, la « réforme Legrand » est mise à mal et vilipendée. Le principal syndicat du secondaire, le SNES, s’arqueboute (notamment contre la redéfinition du service des enseignants et le tutorat qu’il dénonce comme de « l’animation »), tandis que les forces traditionalistes, elles, dénoncent la destruction de l’école. Louis Legrand, qui aurait dû devenir directeur des collèges, ne le sera pas. Alain Savary recule devant l’ampleur des protestations et ne retient, in fine, que des brides de la « réforme Legrand », brides qui pourront entrer en vigueur à partir de 1984 par tranche de 10% et par volontariat. Alain Savary, à son tour, sera balayé de son ministère en 1984, sous l’assaut des défenseurs de l’enseignement privé. Il sera remplacé par Jean-Pierre Chevènement, pour qui tout changement est un renoncement à l’école traditionnelle, « la vraie ».
Louis Legrand reprend son poste à Strasbourg, amer et dépité. D’une certaine manière, avec lui, c’est toute la grande époque de l’articulation du politique et du pédagogique qui s’éteint. Il ne l’acceptera pas et continuera à témoigner, par ses écrits, de la nécessité de changer l’institution scolaire pédagogiquement et politiquement. Quelques titres de ses ouvrages en témoignent : « L’école unique : à quelles conditions ? » (1981), « Les politiques de l’éducation » (1988), « Une école pour la justice et la démocratie » (1995), « Les différenciations de la pédagogie » (1995). Il était nostalgique de ce grand moment qu’il avait connu et animé. Nous, nous sommes nostalgiques de la force et du parcours de cet homme, de ses convictions et de ses actions. Et nous saluons aussi le beau titre de « pédagogue » qui lui est attribué, lui qui était professeur en Sciences de l’éducation !
Jean Houssaye
Professeur émérite en Sciences de l’éducation
Université de Rouen

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Comprendre la transmission du travail

transmission-rwLe champ de la transmission est bien entendu beaucoup plus vaste que celui de la seule transmission du travail. En effet, il concerne des « objets » très divers tels la transmission inter-générationnelle, la transmission des savoirs (dans un contexte scolaire ou non), la transmission des valeurs, …
De façon plus limitée, nous nous intéresserons ici exclusivement au thème de la transmission du travail et plutôt d’ailleurs en situation de travail. Celui-ci est par excellence un thème récurrent qui prend une nouvelle actualité à chaque période de fort renouvellement générationnel dans les organisations.
La première évidence consiste à dire que la transmission du travail est souvent peu ou pas organisée dans les organisations sans doute parce qu’elle est souvent considérée comme se faisant naturellement dès lors que l’on met en relation un « ancien » (au sens d’expérimenté) et un nouveau (au sens de néophyte). Certes, pour peu que le premier accepte de s’ouvrir au second, il est possible de dire, selon l’expression couramment utilisée, que quelque chose « passe » de l’un à l’autre. Mais de quoi s’agit-il ? D’expérience individuelle singulière, de travail prescrit, de valeurs, de gestes, de conceptions de métier… Par ailleurs comment s’opère cette transmission ? La réponse à ces questions permet probablement de penser des dispositifs d’aide à la transmission plus efficaces…

Présentation de l’ouvrage par Richard Wittorski:


Auteur : Richard Wittorski est Professeur des Universités, Directeur de l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) de l’Université de Rouen et chercheur au laboratoire CIVIIC (Centre de recherche Interdisciplinaire sur les Valuers, les Idées, les Identités et les Compétences). Il a également co-présidé l’AECSE (Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation entre 2008 et 2010). Ses travaux portent sur les rapports travail-formation et particulièrement la professionnalisation dans le champ de la formation des adultes. Il a réalisé plus d’une centaine de publications sur ces questions.

Disponible aux Éditions Champ Social

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Entre imitation et émancipation

Apprendre à l’âge adulte : entre imitation et émancipation

(A lire dans le volume 4 numéro 1)

émancipation

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Les processus de relégation scolaire

Les processus de relégation scolaire: une lecture en contre-jour du rôle attribué à l’enseignant spécialisé

( A lire dans le volume 4 numéro 1)

relégation

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Mise en oeuvre de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur

Mise en oeuvre de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur (alternance, elearning, parcours)

Coordonné par Lucie Roger

Souvent perçue comme une injonction sociale, notamment dans l’enseignement supérieur, la professionnalisation soulève de nombreuses questions vives, à la fois en tant qu’objet social, mais aussi en tant qu’objet scientifique. Cet ouvrage entend ainsi contribuer à la réflexion menée sur la professionnalisation dans le champ de l’éducation et de la formation en posant un nouveau regard à travers l’analyse des diverses formes de mise en œuvre de la professionnalisation. La plupart des recherches consacrées aujourd’hui au thème de la professionnalisation dans l’enseignement supérieur tentent d’appréhender les apports et les limites des restructurations que subissent les formations en vue de répondre à des politiques prônant avec vigueur un rapprochement entre les systèmes éducatif et productif. Pour répondre à cette demande de professionnalisation, de nombreux dispositifs ont été mis en place, à travers trois modalités de formation – l’alternance, le e-learning et les parcours –, et ce avec le risque de créer une technicisation des formations qui laisse peu de place aux savoirs. L’objet de cette contribution est d’interroger ces formes de mise en œuvre visant la professionnalisation en termes d’apprentissage et surtout de voir à quelles conditions ces modalités peuvent constituer des leviers pour un développement professionnel qui s’appuie sur des savoirs. Pour développer notre réflexion, cet ouvrage s’appuie sur des terrains variés de l’enseignement supérieur (écoles professionnelles, grandes écoles, universités) qui se rapportent à différents champs professionnels : soins, formation des adultes, enseignement, gestion, conseil et recherche. Les recherches dont il est question ici couvrent trois pays différents : le Canada, l’Espagne et la France.

Accéder au site de l’éditeur

Sommaire:

Introduction

(Lucie Roger, UQAM, Montréal, Canada)

Première partie. Quelles modalités de l’alternance favoriser dans les formations professionnalisantes?

Chapitre 1- Approche par les compétences et dispositifs en alternance : l’étude comparée de formations infirmières en France et en Espagne .

(Mehdi Boudjaoui, Université de Lille 1, France)

Chapitre 2- Contribution bachelardienne à la conception d’une alternance des savoirs et des temps de formation pour l’apprentissage professionnel des enseignants

(Lucie Roger, UQAM, Montréal, Canada)

Chapitre 3- L’alternance dans les grandes écoles françaises. Quel modèle spécifique? Quelles conditions de réussite aujourd’hui?

(Corinne Hahn, Escp, Europe)

Point de synthèse L’alternance comme moyen de mettre en oeuvre la professionnalisation dans l’enseignement supérieur ?

(Jordi Coiduras, Université de Lleila, Espagne)

Deuxième partie. Quand le e-learning favorise la professionnalisation des acteurs

Chapitre 4- Le déploiement des ENT dans l’enseignement supérieur en France

(Pascal Marquet, Université de Strasbourg, France)

Chapitre 5- Usage des TICE pour soutenir les enjeux de la professionnalisation des enseignants à l’université

(Pierre-André Caron, Université de Lille 1, France)

Chapitre 6- La formation à distance de formateurs d’adultes. Des défis de conception de la formation aux défis d’accompagnement des formateurs en apprentissage

(Carine Villemagne, Université de Sherbrooke, Canada)

Point de synthèse. Le e-learning comme moyen de mettre en oeuvre la professionnalisation dans l’enseignement supérieur ?

(Jacques Wallet, Université de Rouen, France)

Troisième partie. Des parcours de professionnalisation pour favoriser l’apprentissage

Chapitre 7- Formation à l’interdisciplinarité en contexte doctoral et constitution de la discipline gérontologique .

(Yves Couturier, Louise Belzile, François Aubry, Dominique Lorrain, Université de Sherbrooke, Canada)

Chapitre 8- Dispositif de formation expérimental : double enjeu de professionnalisation Analyse du sentiment d’efficacité professionnelle et du sentiment de réussite des acteurs

(Lucie Aussel, Université de Toulouse 2, France)

Chapitre 9- Le coaching exécutif pour des directions d’établissement d’enseignement en insertion professionnelle : identification de situations de pratique professionnelle

(Lise Corriveau, Nancy Lauzon, Marc Garneau, Université de Sherbrooke, Canada)

Point de synthèse Les parcours comme moyen de mettre en oeuvre la professionnalisation dans l’enseignement supérieur ?

(Thierry Piot, Université de Caen, France)

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Préposés aux bénéficiaires et aides-soignantes. Entre domination et autonomie.

aubry-couturier

Sous la direction de François Aubry et Yves Couturier

Préface de Michel Lemelin

Presses universitaires de Québec

2014

Lien vers le site de l’éditeur

François Aubry et Yves Couturier proposent un ouvrage très bien documenté, basé sur la présentation de recherches de terrain, essentiellement de type ethnographique, sur le travail des préposés aux bénéficiaires et aides-soignantes. Ils montrent que ces acteurs font l’objet d’une injonction paradoxale : porteurs de pressions et de responsabilisation, ils ne peuvent cependant pas s’appuyer sur les ressources et conditions organisationnelles et institutionnelles qui leur permettraient de développer et de faire reconnaitre les compétences requises pour répondre aux situations dans lesquelles ils sont plongés.

Cet ouvrage contribue – dans la ligne des recherches menées par Anne-Marie Arborio et Pascale Molinier sur les aides-soignantes – à produire des connaissances sur un public encore bien peu étudié sur le terrain des pratiques de soin et d’accompagnement. Dans le contexte québéquois, de tels travaux ont été initiés par François Aubry, Yves Couturier et Francis Etheridge. Faisant suite à un colloque, ce livre témoigne de la vigueur de la dynamique de recherche ici désormais instaurée sur un public dont l’importance et la complexité croissante du travail commence à se faire jour grâce à ces recherches scientifiques.

En effet, ce public est dédié mais aussi relégué aux tâches relevant de la catégorie généralement définie par le care. Il produit des connaissances et compétences qui sont souvent peu visibles, source d’autonomie et d’autonomisation limitées pour celles qui les pratiquent. Moins connu et reconnu que les infirmières et médecins, il assure néanmoins, comme le rappelle François Aubry en introduction, 80 à 90 % des actes de soin envers patients et résidents. Ce public est aussi à 80 % représenté par des femmes au Québec et 90 % en France, ce qui constitue l’un des aspects important à considérer si l’on veut comprendre les fondements symboliques de sa domination et certaines impasses de sa professionnalisation.

Si les aides-soignantes (dénomination en France et en Belgique) ou les préposés aux bénéficiaires (appellation québecoise) ont le plus souvent une faible visibilité dans l’espace médiatique, elles apparaissent néanmoins lors du dévoilement de cas de maltraitance envers leurs aînés. Seule la face négative de l’activité de certains est alors médiatisée.

Or, ces faits, méconnaissance d’un côté, médiatisation des déviances de l’autre, nuisent aux termes du débat. En effet, les auteurs du livre soulignent, par leurs travaux de terrain et analyses, la responsabilité croissante de ces personnes soignantes. Elles doivent réaliser des pratiques de qualité, tout en étant soumises à de fortes charges de travail dans un contexte de rapports hiérarchiques qui a très peu évolué. Conjointement, elles doivent faire face aux revendications croissantes des résidents et de leurs familles. Ce contexte et ces charges accrues induisent pour elles des problèmes de santé et de sécurité au travail qui s’avèrent récurrents.

L’ouvrage montre les différences importantes qui peuvent marquer ces pratiques selon qu’elles se déroulent au domicile des personnes ou en institutions. Surtout, il ne se contente pas de décrire, ce qui serait déjà fort utile, le travail des professionnels et les difficultés qui leur sont propres, il propose aussi une analyse de ces difficultés qu’on peut résumer, sans les réduire les unes aux autres, par une vision systémique.

Ainsi, les auteurs s’accordent pour montrer que les situations médiatisées de maltraitance de personnes vulnérables, loin de reposer uniquement sur celui ou celle qui est alors dénoncé, comportent une dimension politique, organisationnelle, institutionnelle qui, tout autant que l’acte déviant, est à relever. Sinon – et jusqu’ici c’est souvent le cas – l’individualisation de la réponse nuit à la résolution du problème de fond.

Les organisations hiérarchisées, pyramidales, dans la ligne de l’organisation hospitalière, laissent peu d’initiatives reconnues aux personnes qui travaillent directement et dans la durée auprès des personnes vulnérables. Les modes de gestions tayloriens peuvent venir s’inscrire à l’encontre des finalités pourtant assignées à ces professionnels en matière de centration sur les besoins des personnes soignées.

Ces professionnels exercent des activités amenées à croître, avec le vieillissement de la population alors même qu’elles s’exercent déjà sous tensions fortes. Ces tensions sont à rattacher à la fois aux modes organisationnels de gestion de ces activités, aux difficultés inhérentes aux situations d’incertitudes rencontrées par les personnes et les équipes, à la nature de ces activités qui intriquent inévitablement sphère privée, intimité, relations affectives, familiales et professionnelles.

Le manque de reconnaissance que ces personnes subissent et les pressions croissantes qui s’exercent sur elles dans un contexte où la tension au niveau des coûts, vient se cumuler aux autres, sans que les moyens pour y faire face soient déployés de façon cohérente. Ce processus engendre inévitablement une certaine labilité dans l’exercice de ce travail qui, en boucle, nourrit les difficultés précitées.

Présentation des différentes parties de l’ouvrage

L’ouvrage est construit sur la base de plusieurs études sur les aides-soignantes et les préposés aux bénéficiaires. Elles travaillent soit dans les organisations de soins et de santé, soit à domicile. L’ensemble de ces terrains est donc abordé sous la forme de quatre thématiques transversales à trois contextes. Ces thématiques sont les suivantes : le rapport aux patients et aux résidents, l’approche du Milieu de Vie[1] et la qualité des pratiques, la santé au travail, la professionnalisation des aides-soignantes et des préposés aux bénéficiaires.

Dans la première partie, les auteurs relèvent l’importance fondamentale de l’organisation du travail dans le développement des conflits et des actes de maltraitance et la nécessité de prendre en compte le collectif de travail dans la réalisation d’actes relationnels de qualité.

Emilie Raizenne montre, sur le terrain des centres d’hébergement et de soins de longue durée, que les préposés sont au cœur des tensions entre revendications individuelles et injonctions organisationnelles. Ils éprouvent de ce fait une grande souffrance morale sur laquelle ils disposent de peu de leviers pour pouvoir agir. Louise Belzile, Caroline Pelletier et Marie Beaulieu se sont intéressées à la maltraitance en institution de soins de longue durée. Cette dernière concerne le plus souvent les aspects non techniques, mais relationnels de leur rôle. Or, les auteurs montrent que la responsabilité des situations de maltraitance, loin de reposer uniquement sur des individus déviants, relève d’un processus distribué au sein des organisations. Ces dernières tendent à faire porter sur les relations interindividuelles entre préposés et bénéficiaires l’incertitude des situations de soins complexes en milieu collectif. Isabelle Feillou, Marie Bellemare, Annabelle Viau-Guay, Louis Trudel, Johanne Desrosiers et Marie-Josée Robitaille ont travaillé sur l’approche relationnelle des soins en institutions de soins de longue durée. Cette approche est ancrée sur la philosophie du Milieu de Vie. Ils relèvent avec prudence — dans la mesure où l’étude concerne un terrain particulier — les questions posées par le déploiement de cette approche. Selon eux, elle s’avèrerait d’autant plus efficace qu’elle concernerait l’ensemble du collectif de travail impliqué dans l’institution et non seulement une catégorie ciblée de personnel.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, sont analysés les effets des nouvelles normes de qualité de l’Approche Milieu de Vie — impulsées au sein des organisations gériatriques — sur les pratiques concrètes des préposés aux bénéficiaires. Les auteurs montrent comment les responsabilités accrues pour les préposés rencontrent les contraintes liées à la faiblesse de leur statut professionnel avec une faible marge d’autonomie et de reconnaissance dans l’organisation. Yves Couturier, Francis Etheridge et Malika Boudjémaa analysent la double contrainte dans laquelle sont pris les préposés aux bénéficiaires : ils sont à la fois poussés à une professionnalisation, mais ne bénéficient pas d’un contexte de travail qui lui soit favorable. Ils soulignent notamment le poids des références asilaires ou hospitalières sur des modèles de prises en charge mal adaptés au soin des personnes âgées malades chroniques. Les préposés, comme les bénéficiaires de leurs actions, sont plongés dans un type d’organisation qui nuit à leurs autonomies tout en promouvant un discours qui la promeut. Malika Boudjémaa et Yves Couturier poursuivent cette analyse en s’attachant à considérer le point de vue des préposés aux bénéficiaires sur l’approche Milieu de vie. Ils soulignent les limites de l’organisation asilaire pour répondre aux problèmes d’hébergement de qualité en institution, ils relèvent des progrès initiés par l’approche Milieu de vie, mais aussi les limites inhérentes aux modes d’organisation et de hiérarchisation encore dominants.

François Aubry, Yves Couturier et Frédéric Gilbert, mettent clairement en évidence que les préposés aux bénéficiaires restent très peu reconnus pour les responsabilités morales croissantes qu’on leur demande cependant d’exercer. Aux prises avec des injonctions organisationnelles et collectives parfois contradictoires, ils mettent pourtant en place des processus d’adaptations aux situations qu’ils vivent qui seraient source d’innovation, pour peu que les gestionnaires de changement en institutions de soins de longue durée s’y intéressent de plus près.

Dans la troisième partie, les auteurs se penchent sur la question de la santé au travail des préposés aux bénéficiaires. Ces derniers sont de plus en plus reconnus comme des acteurs professionnels susceptibles de rencontrer de graves problèmes de santé dans le cadre de leur activité. Les auteurs relèvent que la souffrance organisationnelle est d’autant plus ressentie que ces personnes manquent d’autonomie pour gérer les risques qui les affectent dans la situation de domination où ils se trouvent.

Henriette Bilodeau et Geneviève Robert-Huot se sont intéressées au rapport entretenu par les préposés aux bénéficiaires avec les règles de prévention et de contrôle des infections nosocomiales. Elles soulignent notamment le poids de l’implication du management dans le respect de ces règles par l’ensemble des personnels et non une catégorie en particulier. Johanne Boivin montre que la question de la souffrance au travail dans les organisations de santé est liée à celle de l’autonomie de l’ensemble des personnes impliquées dans les soins. Cette autonomie, loin d’être abstraite, se loge dans l’organisation précise des micros décisions qui s’imposent dans les situations de soins dans lesquelles sont généralement impliqués les préposés aux bénéficiaires. La souffrance organisationnelle résulte d’un manque d’autonomie des personnels les conduisant parfois à agir contre l’éthique des soins, pourtant prônée, lorsqu’ils sont pris dans des injonctions contradictoires.

Fanny Dubois développe une analyse ethnographique du travail des aides-soignantes en Belgique. Elle montre comment leur travail qui consiste aussi à prendre en charge ce qui provoque le dégout des autres tend à asseoir dans cette particularité une facette du pouvoir qui leur est propre.

La quatrième partie explore les conditions nécessaires à la professionnalisation des métiers d’aides-soignantes et des préposés aux bénéficiaires. De par leur faible position statutaire, ils sont en situation de domination hiérarchique, mais aussi symbolique. La qualification de leurs pratiques oscille à la frontière de compétences professionnelles et domestiques.

Catherine Gucher s’est intéressée au travail des aides-soignantes à domicile en France où elles interviennent en croisant les auxiliaires de vie sociale et les aides à domicile. Ces différents intervenants, aux frontières mal définies, œuvrent en tension pour défendre des territoires et des autonomies professionnelles fragiles, et ce, aux dépens de l’autonomie de l’usager face à ces différents modes d’interventions. Il apparaît difficile pour l’ensemble de ces personnes d’être reconnues de par le brouillage, dans ce secteur, entre expertises savante et profane.

Catherine Gucher et Annie Mollier soulignent le rapport étroit entretenu entre le travail des infirmiers et ceux des aides-soignants, les amenant à valoriser les interventions techniques en lien avec l’activité thérapeutique qui fonderait leur légitimité. A domicile, elles cherchent cependant à relier les dimensions techniques et humanistes de leur travail pour mieux défendre un territoire spécifique.

Des territoires sous tension

L’ensemble de l’ouvrage montre la tension générée par cette position paradoxale où les acteurs sont à la fois porteurs de pressions et de responsabilisation, mais conjointement, n’ont pas les ressources et conditions organisationnelles et institutionnelles qui leur permettraient de développer et de faire reconnaitre leurs compétences.

Yves Couturier clôt l’ouvrage par la mise en évidence des débats actuels sur les préposés aux bénéficiaires et aides-soignantes. Il montre notamment en quoi ils permettent de mettre à jour la problématique de la domination symbolique du métier qui oblitère la forme même des revendications que les acteurs seraient en mesure d’exprimer. Il souligne le paradoxe posé par l’impasse où ces professionnels se trouvent, fondant leur identité sur ce qu’on leur demande d’être plutôt dans ce qu’ils sont. Le chemin vers davantage de reconnaissance et de professionnalité apparaît donc semé d’embuches tant au plan individuel, subjectif, qu’organisationnel et institutionnel. Néanmoins, tant au domicile qu’en institution, ce chemin s’impose d’autant plus que les injonctions et revendications de l’ensemble de ces acteurs tendent à réclamer ou nécessiter davantage d’autonomie d’action et de contrôle. Ce livre trace les principales lignes sur lesquelles ces reconfigurations complexes reposent.

Un bien bel ouvrage dont on ne peut que recommander la lecture, il intéresse autant les chercheurs que les professionnels et les publics des secteurs éducatifs, social et sanitaire.

Eliane Rothier Bautzer

Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société

CERMES3  Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité
CNRS UMR 8211, INSERM U988, EHESS
Département Sciences de l’Education
Centre universitaire des Saints-Pères
45 rue des Saints-Pères, 75270 Paris Cedex 06
eliane.bautzer@gmail.com

http://www.cermes3.fr/index.php/membres/chercheurs-enseignants-chercheurs-ingenieurs-et-techniciens/155-rothier-bautzer-eliane

 

[1] Cette approche est préconisée par le ministère de la santé et des services sociaux au Québec. « Elle se présente comme un énoncé général d’orientation émis par le ministère de la santé et des services sociaux auquel sont associés un corpus de principes cohérents et un dispositif de monitorage du niveau d’implantation » (Couturier, Etheridge, Boudjéma , chapitre 4, page 85).

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Dessiner pour l’éducation ?


3324_001 phronesis janvier 2015

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